La science face à E.T.
Sommes-nous seuls dans l’Univers ? La quête d’exoplanètes habitables susceptibles d’abriter la vie s’est imposée aujourd’hui au cœur des travaux astronomiques. C’est même un des enjeux du télescope JWST. Mais il n’en a pas toujours été ainsi…
Pour la science moderne, il semble décidément difficile d’appréhender la chose alien autrement que par l’anecdote. Ainsi en est-il de ce déjeuner où, en 1950, le prix Nobel de physique Enrico Fermi aurait mis l’existence des extraterrestres sur la table. Sur les milliards de soleils que compte notre Galaxie, calcule-t-il, la probabilité que la vie ait pu apparaître ailleurs, et devenir intelligente jusqu’à former des civilisations capables de voyager dans l’espace, est élevée. Des spécimens auraient donc déjà dû s’être présentés à nous. Or, nous ne les voyons pas. “Où sont-ils donc ?”, s’exclame-t-il. Si la véracité de cette discussion fait débat, l’exclamation est restée célèbre, donnant naissance au paradoxe… de Fermi : si l’on admet que d’autres formes d’intelligence ont pu et dû se développer ailleurs, pourquoi n’en voyons-nous aucune ?
Depuis, les hypothèses qui tentent de répondre à cette question s’accumulent, en même temps que des articles scientifiques par dizaines, publiés en bonne et due forme dans des revues spécialisées. Voilà l’un des rares exemples où la science moderne a osé se confronter à l’objet alien. Mais ce débat n’a pas surgi en 1950 par hasard.
Des “soucoupes volantes”
La période voit en effet se multiplier des phénomènes insolites dans le ciel. Et ces phénomènes prennent une tout autre échelle lorsque le pilote Kenneth Arnold observe en 1947 dans l’État de Washington neuf objets qui se déplacent “comme des soucoupes ricochant sur l’eau”. Les journalistes brodent, et ainsi naissent les “soucoupes volantes”, qui s’inscrivent durablement dans l’imaginaire commun. L’hypothèse qu’il puisse s’agir de machines volantes provenant d’autres planètes fait son chemin. Des Américains ou des Brésiliens racontent même avoir été enlevés et y avoir subi des tests médicaux.
Des deux côtés de l’Atlantique, l’armée s’y intéresse. Aux États-Unis, les rapports évoquent des “unidentified flying objects” (UFO), qu’on traduira en français par Ovni, objet volant non identifié. L’US Air Force lance dès 1947 le projet d’étude Sign, remplacé en 1948 par le programme Grudge, puis Blue Book, pour évaluer s’ils représentent une menace.
Dans un contexte de guerre froide…
L’armée de l’Air française crée de son côté la Section d’étude des mystérieux objets célestes (Semoc) en 1954. Le contexte de guerre froide incite à la vigilance. L’armée veut aussi savoir si des gains technologiques peuvent être obtenus à partir de ces mystérieux objets.
Le Gepa (Groupe d’étude des phénomènes aériens) est créé, avec peu de moyens, en 1962. “Cette association rassemble des ingénieurs, des scientifiques et des militaires qui cherchent à reproduire les phénomènes associés à ces ovnis, comme l’altération de la végétation par de forts champs magnétiques ou des micro-ondes”, décrit Manuel Wiroth, auteur en 2016 d’une des très rares thèses sur l’histoire de l’ufologie. Chaque grande vague d’observations, constate-t-il, débouche sur de nouveaux programmes, commissions ou rapports censés trancher sur la nature des phénomènes observés. Les conclusions destinées au public sont toujours les mêmes : les témoins ont fait fausse route. “Grudge ou Blue Book vont tout ramener à des causes naturelles et à des méprises”, observe Manuel Wiroth, qui note qu’en interne les avis des experts sont moins catégoriques.
Illusions, plaisanteries, élucubrations
Les scientifiques quant à eux considèrent pour la plupart ces témoignages comme des illusions d’optique, d’aimables plaisanteries, voire des élucubrations. Il faut dire qu’ils s’étaient déjà laissé aller à un emballement qui s’est retourné contre eux. “À la fin du XIXe siècle, l’hypothèse d’une vie extraterrestre était prise très au sérieux”, rappelle Florence Raulin-Cerceau, historienne de l’astrobiologie au Muséum national d’histoire naturelle. Des astronomes avaient relevé de mystérieux canaux sur la surface de Mars, construits, pensaient-ils, par une civilisation non terrestre. Sauf qu’à mesure que les observations se sont affinées, les illusions sont tombées. Mars n’a ni canaux ni eau liquide. “Les sondes Mariner puis Viking ne montreront que des paysages qui semblent stériles”, souligne l’historienne.
En 1969, le rapport de l’université du Colorado conclut que les ovnis ne présentent aucun intérêt pour la science
Manuel Wiroth, auteur en 2016 d’une thèse sur l’histoire de l’ufologie
Mais la déconvenue des canaux martiens n’explique pas tout. Le rejet des scientifiques pour l’étude des ovnis a sans doute aussi des raisons plus profondes. C’est la thèse que soutient la philosophe belge des sciences Isabelle Stengers, en 1996, lors d’un entretien diffusé sur la chaîne de télévision Arte : “Les scientifiques aiment bien avoir l’initiative des questions, ils aiment bien inventer les questions auxquelles la science va pouvoir répondre. Lorsqu’un phénomène se produit en dehors de toute initiative de leur part, n’importe où, n’importe comment, devant n’importe qui, ils n’aiment pas ça du tout parce qu’ils sont dans la même position que n’importe qui. Ils n’ont pas d’approche qui les spécifierait”, explique-t-elle.
Résultat ? Ils préféreraient s’intéresser aux raisons qui poussent ces témoins à croire à ce qu’ils racontent, plutôt que d’étudier le phénomène lui-même. Une frilosité qui aurait incité l’ufologie à se structurer autour de réseaux d’amateurs, et non de chercheurs professionnels…
Des signaux électromagnétiques…
La coupure entre scientifiques et ufologues culmine en 1969 aux États-Unis avec le rapport de l’université du Colorado, rédigé sous la direction du physicien américain Edward Condon, “document qui conclut que les ovnis ne présentent aucun intérêt pour la science. Mais Edward Condon avait été choisi justement parce qu’il était extrêmement sceptique sur la question”, relève Manuel Wiroth.
Ce rapport stoppe toute recherche officielle aux États-Unis. Mais aussi en France, où les chercheurs s’appuient sur ses conclusions pour déserter ce champ d’études. Fin de la question ? Non. Car dans le même temps, une poignée de scientifiques sont en train de s’emparer du sujet par l’autre bout de la lunette.
En 1959, les physiciens Morrison et Cocconi montrent dans un court article que des civilisations techniquement avancées pourraient communiquer à travers l’espace avec des signaux électromagnétiques judicieusement choisis. Arrivé aux mêmes conclusions, l’astronome Frank Drake démarre en avril 1960, à l’observatoire de radioastronomie de Green Bank, en Virginie, la recherche de tels signaux à proximité de deux étoiles proches.
L’équation de Drake
En novembre 1961, il organise un séminaire auquel participe Morrison lui-même et le planétologue Carl Sagan. Drake y liste dans une équation les conditions qui aboutissent à l’émergence d’une civilisation capable de communiquer. Les incertitudes sur chaque terme sont vertigineuses. Mais décision est prise de faire de cette recherche d’aliens un vrai programme scientifique. Le Seti (Search for Extra-Terrestrial Intelligence) naîtra, traquant tout rayonnement artificiel dans la Galaxie. Sa quête se poursuit aujourd’hui.
On a enfin de vraies cibles : les exoplanètes situées dans des zones habitables
Florence Raulin-Cerceau, historienne de l’astrobiologie au Muséum national d’histoire naturelle
Pour les chercheurs, la démarche a le mérite de ramener l’objet alien dans un domaine qu’ils maîtrisent : ils ont un outil, des mesures de grandeurs physiques… Reste que dans la communauté, le Seti n’est parfois guère mieux considéré que l’ufologie. “Dans les colloques, c’était souvent le vilain petit canard, observe Florence Raulin-Cerceau, qui s’est spécialisée dans l’étude de ce programme. Pour obtenir du temps d’observation, il fallait le faire en parasite, collé à des observations plus traditionnelles.”
Période de doute
De son côté, l’ufologie commence à être traversée de doutes. Les ovnis deviennent rares à la fin des années 1970, l’hypothèse extraterrestre cède du terrain face aux explications sociopsychologiques : les observations seraient dues à des méprises causées par des états de conscience altérée ou à des phénomènes naturels inconnus. De nombreux ufologues de la première heure se demandent eux-mêmes s’ils n’ont pas fait fausse route. Les effectifs fondent.
En 1977, un organisme public est néanmoins créé en France, sous la tutelle du Centre national d’études spatiales (CNES), pour recenser non pas les ovnis, mais les “phénomènes aérospatiaux non identifiés”. Il s’agit du Gepan (Groupe d’étude des phénomènes aérospatiaux non identifiés), immédiatement pris en tenaille entre les sceptiques et les ufologues. En 1988, il devient le Sepra (Service d’expertise des phénomènes de rentrées atmosphériques), aux moyens et ambitions encore plus limités. Tandis qu’en 1993, sous l’injonction du Sénat américain, la Nasa arrête de financer le programme Seti. Des deux côtés de l’Atlantique, il n’est plus question de traquer les aliens sur fonds publics.
Des milliards d’exoplanètes !
Mais un événement majeur va tout changer : la découverte, en 1995, d’une première planète en orbite autour d’un autre soleil que le nôtre. Depuis, le nombre d’exoplanètes détectées grossit d’année en année (plus de 5 000 à ce jour), jusqu’à conduire à cette évidence : il en existe des milliards, dont sans doute des myriades susceptibles d’offrir des conditions favorables à la vie. Les agences spatiales mobilisent désormais des moyens colossaux pour les détecter et les analyser. De quoi légitimer la recherche d’aliens ?
“Depuis, le Seti s’est complètement intégré dans l’exobiologie, constate Florence Raulin-Cerceau. On a enfin de vraies cibles – les exoplanètes situées dans des zones habitables.” Mais entre chercher des traces d’une activité bactérienne et se lancer sur les pas d’une civilisation interstellaire, il y a encore un gouffre que peu de scientifiques sont prêts à franchir officiellement.
Le célèbre “Wow”
“Lorsqu’on cherche des financements, il vaut mieux ne pas parler du Seti”, avoue l’astro-historienne. Il faut dire que son bilan est bien maigre : un seul signal marquant a été détecté, en 1977. Surnommé “Wow”, en référence à l’annotation portée par l’astronome qui l’a identifié, il n’a été observé qu’une seule fois. “Ce qui n’est pas bon signe”, constate Florence Raulin-Cerceau.
La question des extraterrestres n’est pas un sujet, nous n’expliquons jamais une observation par cette hypothèse
Le responsable du Geipan (Groupe d’étude des phénomènes aérospatiaux non identifiés)
En 2004-2005, le CNES remplace le Sepra par le Geipan. En déclinant notre demande d’entretien, son responsable précise aussitôt : “La question des extraterrestres n’est pas un sujet au Geipan, nous n’expliquons jamais une observation par cette hypothèse.” Certes, le principe du rasoir d’Ockham suggère que lorsque plusieurs explications sont possibles, mieux vaut privilégier d’abord la plus simple. Mais cela révèle surtout que l’alien reste sulfureux. Rien n’indique donc que la science académique soit aujourd’hui prête à étudier sérieusement la possibilité que des extraterrestres existent au-delà de quelques exobactéries et, surtout, qu’ils puissent nous rendre visite.
Cachotteries militaires
Un vent nouveau se fait néanmoins sentir outre-Atlantique. “Depuis 2017, on entend l’administrateur de la Nasa, Bill Nelson, dire que l’hypothèse extraterrestre reste ouverte”, relève Manuel Wiroth. John Podesta, haut responsable américain, regrettait en 2015 de ne pas avoir déclassifié des dossiers ovni, suggérant qu’il y ait pu y avoir quelques cachotteries de l’administration. En juin 2021, le renseignement reconnaissait que des dizaines de phénomènes constatés par des pilotes militaires ne pouvaient toujours pas être expliqués.
Faut-il voir dans la récente décision de la Nasa de lancer cet automne une enquête de plusieurs mois sur les phénomènes aériens non identifiés le signe d’un nouvel état d’esprit ? L’avenir le dira. Mais que l’on prête foi ou non aux témoignages n’enlève rien à la pertinence de la question, car “il est malgré tout assez naturel de nous demander si nous sommes seuls dans l’Univers ou non”, rappelle Florence Raulin-Cerceau. La science devra juste trouver enfin les bons outils pour y répondre.