illustration d'une planète habitable@Y.DIRAISON - SHUTTERSTOCK - MARK GARLICK/SPL - GETTY IMAGES

Planète habitable : objectif Trappist-1

Cela fait des années que les spécialistes de la recherche de vie extraterrestre attendent ce moment. Ça y est ! Le télescope JWST va ouvrir les yeux. Et aussitôt explorer les seuls mondes habitables à portée d’observation : trois Terre qui ressemblent à la nôtre.

par Mathilde Fontez,

L’étoile est banale. Son nom officiel témoigne d’ailleurs d’un certain anonymat : 2MASS J23062928-0502285. C’est une naine rouge, comme il y en a partout dans la Voie lactée – ces astres à la lumière ténue constituent 80 % de la population stellaire de notre galaxie, même si elle est particulièrement petite. Mais depuis 2015, depuis que Michaël Gillon et son équipe de l’université de Liège lui ont découvert une planète, puis deux, puis trois, quatre… jusqu’à sept, toutes à peu près de la taille de la Terre, elle est devenue, pour la communauté des explorateurs de l’espace, le système stellaire le plus excitant de tout l’Univers – le nôtre excepté.

Dès le départ, on a vu que ce système était génial

Elsa Ducrot, en charge de l’un des programmes d’observation, au CEA

Ce système méritait un vrai nom. L’équipe est belge, son télescope a un nom de bière : il s’appelle Trappist. 2MASS J23062928-0502285 fut donc rebaptisée Trappist-1. Et ses planètes arborent des lettres en fonction de leur ordre de découverte : de b pour la première à h pour la dernière – par tradition, il n’y a jamais de “a” dans les nomenclatures. 

“Dès le départ, on a vu que le système était génial”, se rappelle Elsa Ducrot, qui est arrivée dans l’équipe liégeoise juste après la découverte des trois premières planètes, Trappist-1b, c et d. Très vite, tous les spécialistes se mobilisent. Car si les exoplanètes sont légion dans le ciel – le décompte exact est de 5 097, le nombre de découvertes double tous les 27 mois –, les petites exoplanètes tempérées de la taille de la Terre sont rares, car difficiles à trouver. Tout juste en compte-t-on quelques dizaines dans les données collectées depuis 25 ans par les télescopes. Pis, on connaît d’elles soit la taille, soit la masse, mais pas les deux. Impossible donc d’accéder à leur densité pour confirmer qu’il s’agit bien de planètes rocheuses. 

On a une précision dingue

Or le système Trappist-1 possède une particularité : ses sept planètes orbitent autour de leur étoile de manière incroyablement compacte. Toutes se pressent dans un mouchoir de poche de 6 % de la distance Terre-Soleil : Trappist-1h est 50 fois plus proche de son étoile que la Terre ne l’est du Soleil ; Trappist-1b 100 fois ! Et leurs orbites sont parfaitement synchronisées : elles forment une chaîne de résonance, trois par trois. Quand l’une fait 8 tours autour de son étoile, une autre en fait exactement 5, et ainsi de suite. Une singularité qui permet de calculer leur masse. “Ces résonances amplifient les effets d’attraction. Vus depuis la Terre, les passages des planètes devant l’étoile, les transits, sont modifiés : ils sont en retard, parfois d’une heure, explique Elsa Ducrot. C’est ce qui nous permet de déduire la masse des planètes avec une précision dingue, totalement inaccessible autrement. C’est crucial.”

Franck Selsis, du Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux, qui étudie les exoplanètes depuis 20 ans, n’en revient toujours pas. “Qu’on obtienne la densité avec cette précision, c’est extraordinaire. Je n’aurais jamais pensé qu’on puisse le faire.” Ainsi, Trappist-1b affiche 0,987 fois la densité de la Terre ; Trappist-1c 0,991… des valeurs très proches de celles de notre planète et de ses voisines dans le Système solaire. Pas de doute, les Trappist-1 sont des rocheuses, comme Mars, Mercure et Vénus aussi. Des exoplanètes de la catégorie de la Terre.

Quatre preuves différentes

D’autres Terre, vraiment ? Toute découverte extraordinaire nécessite des preuves extraordinaires, disait le célèbre astrophysicien Carl Sagan. Ses successeurs ont tout de suite cherché à voir, avec tous les moyens dont ils disposent, si les Trappist-1 ne ressemblent pas plutôt à des petites planètes gazeuses, des mini-Neptune ou des mini-Saturne, avec une atmos­phère d’hydrogène et d’hélium qui s’enroule autour. Dans ce cas, elles n’auraient rien de commun avec notre Planète bleue. 

“Avec le télescope Hubble, on n’a détecté aucune signature. Or, si l’atmosphère avait été étendue, nous avons prouvé qu’il y en aurait eu. Des collègues japonais ont lancé une campagne spécifique avec le télescope Subaru pour chercher de l’hélium et n’ont rien trouvé. Et du côté de la modélisation, nous avons aussi clairement montré que si ces planètes avaient de telles atmosphères, elles s’échapperaient rapidement du fait de leur faible masse, répond point par point Martin Turbet, spécialiste des atmosphères planétaires au Laboratoire de météorologie dynamique, à Paris. Avec la densité, ça fait quatre preuves différentes : les planètes Trappist-1 sont telluriques, c’est sûr.” “On est très précis, renchérit Michaël Gillon. On peut vraiment parler, pour la première fois, d’une composition de type terrestre.”

Bingo !

Terrestre… et habitable ? La question suit aussitôt. Car si notre planète est un modèle, c’est bien parce qu’elle a été capable d’abriter la formation de micro- puis de macro-organismes vivants. La question est donc de savoir si la chaleur que reçoivent les Trappist-1 en fonction de leur distance à leur étoile leur donne une chance d’abriter de l’eau liquide en surface, avec des océans, des rivières… “C’est le critère pour que l’on puisse imaginer l’émergence d’une vie. C’est l’eau liquide en surface qui fait de la Terre une planète unique dans le Système solaire”, rappelle Victoria Meadows, spécialiste des exoplanètes à l’université de Washington. 

C’est le seul système avec autant de planètes telluriques  ; le seul système avec autant de planètes potentiellement habitables

Michaël Gillon, astrophysicien à l'université de Liège

Et, là encore, bingo : trois d’entre elles, les Trappist-1e, f et g orbitent dans la bonne zone, à une distance de l’étoile qui pourrait offrir un climat ni trop chaud ni trop froid, juste ce qu’il faut. Et peut-être même une quatrième, la planète Trappist-1d. “Le système est tempéré, dans l’ordre de grandeur de ce qu’on a dans le Système solaire. C’est assez unique”, souffle Elsa Ducrot.

Ne cherchez pas : nulle part ailleurs dans le ciel vous ne trouverez un autre monde comme Trappist-1. “C’est le seul système avec autant de planètes telluriques ; c’est le seul système avec autant de planètes potentiellement habitables. Nous nous sommes tous mis au travail pour qu’il soit observé par le télescope spatial James-Webb (JWST)”, raconte Michaël Gillon. “Des tonnes de personnes dans la communauté se sont impliquées dans l’étude de ces planètes. Notre but était d’obtenir le plus de temps possible avec James-Webb pour étudier ce système, rapporte de son côté Laura Kreidberg, de l’Institut Max-Planck, à Heidelberg, en Allemagne. Il y a d’autres planètes rocheuses que JWST peut et va étudier. Mais aucune n’a la combinaison de propriétés de Trappist-1.”

Pas de plan B

Pour convaincre les équipes chargées du planning du JWST, les amoureux de Trappist-1 n’ont pas fait les choses à moitié. Entorse à la saine concurrence qui les anime habituellement, ils ont partagé leurs données et leurs analyses. Ils ont même évalué les chances qu’un meilleur système soit découvert d’ici à la mise en route du télescope.

Les astrophysiciens ont exclu les étoiles de type solaire dès le départ : la trace qu’elle laisse en passant devant leur étoile est trop ténue pour le JWST. Restent les étoiles naines. Voire, mieux encore, les étoiles ultra-froides comme Trappist-1 : en croisant le catalogue ultra-précis collecté par le télescope Gaia avec celui de sources ponctuelles 2MASS, ils ont construit une liste de toutes celles visibles jusqu’à une distance de 130 années-lumière. Ils ont alors estimé pour chacune les paramètres de masse, de taille, de température, etc., et évalué la probabilité qu’un autre système planétaire soit découvert plus près, avec plus de planètes, mieux orientées…

Une orientation parfaite

Car l’orientation est aussi l’une des spécificités du système Trappist-1 : toutes ses planètes tournent dans le même plan, totalement aligné avec la Terre. Ce qui fait qu’on les voit passer devant leur étoile – c’est grâce à cela qu’elles ont été détectées. JWST pourra même les voir passer derrière, et procéder ainsi à des mesures complémentaires.

Résultat des calculs : la probabilité qu’un autre système soit aussi bien vu par la tranche est très faible ; seules 44 étoiles sont assez proches et la probabilité qu’elles aient des planètes en transit est de 2,5 %… “Sauf à supposer une fréquence particulièrement élevée pour de telles planètes autour des étoiles naines, il est donc très probable que Trappist-1d, e, f, g soient les meilleures cibles possibles pour JWST dans le régime ‘probablement habitable de la masse de la Terre’ ”, écrivent les chercheurs. Non, assènent-ils noir sur blanc, il n’y a pas de plan B : “Dans l’ensemble, nous pouvons conclure en toute sécurité que cette hypothèse est extrêmement improbable.”

Le cas LHS-3844 b

Trappist-1 est donc seul. Le seul autre monde qui pourrait abriter la vie à portée du JWST. “Le seul analogue de la Terre observable”, résume Victoria Meadows. Le seul pour lequel la question, aujourd’hui, peut être posée : ses planètes ont-elles une atmosphère ? Car sans atmosphère, pas de vie… du moins pas de vie qu’il soit possible d’imaginer, et donc de détecter. “En astronomie, on cherche toujours sous le lampadaire”, sourit Michaël Gillon. Et c’est bien avant tout à cette question que devra répondre le télescope, en ciblant patiemment chacune des sept planètes au cours de l’année, à l’aide de trois de ses quatre instruments : MIRI, qui capte l’infrarouge moyen, NIRSpec, le spectrographe dans l’infrarouge, et l’imageur NIRISS.

C’est une grande première. Certaines atmosphères d’exoplanètes ont déjà été observées, mais jamais celle de planètes telluriques tempérées. “On a plutôt étudié des cousines de la Terre, un peu plus grosses, un peu plus chaudes, parce que c’est plus facile”, précise Laura Kreidberg, qui a mené certaines de ces observations. Grâce au télescope spatial Hubble, la chercheuse a ainsi pu distinguer des nuages de haute altitude sur la planète GJ-1214b. 

Mini-Neptune

“Des nuages assez différents de ceux avec lesquels nous sommes familiers dans le Système solaire : ils sont trop chauds pour que l’eau se condense, il doit s’agir de minéraux, comme le chlorite de potassium ou le sulfure de zinc.” Et cette planète s’avère au final très éloignée d’une Terre habitable. “C’est plus une mini-Neptune”, admet la chercheuse. Et pour l’atmosphère d’une petite planète rocheuse semblable à la Terre ? En dehors du Système solaire, existe-t-il un monde aussi tempéré ? C’est la première fois que les astronomes sont en position de pouvoir répondre. 

“Nous ne savons absolument pas si ces mondes peuvent avoir une atmosphère, rappelle David Charbonneau, spécialiste des exoplanètes à Harvard. Il n’y a qu’une seule étude définitive pour une exoplanète terrestre : celle réalisée avec le télescope spatial Spitzer, qui montre que LHS-3844 b n’a aucune atmosphère. Ce qui ne veut pas dire que les atmosphères sont rares dans l’Univers. Cette planète est beaucoup plus chaude, plus proche de son étoile que les Trappist-1.”

La physique de l’évasion de l’eau

La question est d’autant plus prégnante que les astrophysiciens ont longtemps pensé que des planètes comme les Trappist-1 ne pouvaient pas avoir d’atmosphère. La faute à leur étoile : les naines rouges sont terribles. Elles brillent faiblement dans la partie visible du spectre lumineux, mais irradient en permanence de puissants rayons ultraviolets et des bouffées incessantes de rayons X. Sans compter les éruptions qui ne cessent de les agiter, les éjections de masse coronale. Tous ces rayonnements de haute énergie ont le pouvoir d’évaporer totalement une atmosphère. “C’est la menace qui pèse sur les planètes qui tournent autour des petites étoiles”, confirme Franck Selsis, à l’unisson de ses confrères.

Oui, j’ai l’espoir que cela nous rapproche de la réponse à la fascinante question ‘Sommes-nous seuls dans l’Univers  ?’

Victoria Meadows, spécialiste des exoplanètes à l’université de Washington

Et tous de décrire un scénario infernal d’une eau qui s’évapore irrésistiblement, qui monte jusqu’à atteindre la thermosphère où elle est finalement photodissociée et perdue dans l’espace. Même le dioxygène, plus lourd, pourrait être entraîné. “Mais les études ne sont pas d’accord sur l’étendue des volatils perdus… La physique de l’évasion de l’eau n’est pas un problème résolu, précise Martin Turbet. Cette érosion met en jeu un ensemble de processus qu’on comprend mal : avec quelle efficacité les molécules s’échappent ? Comment les photons viennent mettre le bazar ? Tout cela est hautement non linéaire : des petites variations de flux lumineux induisent des différences de plusieurs ordres de grandeur.”

Pour l’éternité

Sans compter que si Trappist-1 est relativement calme aujourd’hui pour une étoile naine, avec seulement une ou deux éruptions par semaine, elle était probablement très turbulente dans son enfance, juste après la naissance de ses planètes. Les astrophysiciens appellent ça la “phase de pré-séquence principale”, une période durant laquelle les étoiles rodent leurs processus nucléaires en étant beaucoup plus grosses, plus chaudes, plus magnétiques, plus actives. 

Pour les étoiles de type solaire, cette crise de croissance dure seulement quelques dizaines de millions d’années, mais pour les étoiles comme Trappist-1, elle peut s’étaler sur un milliard d’années. “Ces toutes petites étoiles vivent pour l’éternité, à des échelles de temps inconceva­bles. Pendant très longtemps, leurs planètes ont été extrêmement chauffées. Il est possible qu’elles aient perdu toute leur eau”, craint Franck Selsis. “Ce n’est pas loin d’être le pire environnement pour former des planètes”, convient Michaël Gillon.

Sauf que les modèles offrent aussi de bonnes nouvelles : les planètes Trappist-1 se seraient formées plus loin de leur étoile qu’elles ne le sont aujourd’hui. Leur chaîne de résonance, la proximité de leur orbite, tout indique qu’elles ont migré pour se rapprocher de leur soleil. Elles auraient ainsi pu échapper à ses éruptions infantiles. Quant à l’érosion actuelle, elle n’empêche pas les planètes d’avoir toujours une atmosphère, pour peu qu’elles aient fait le plein de gaz au départ. “On ne sait pas avec quoi ces planètes ont démarré. Il suffit qu’elles aient eu plus d’eau, plus de CO2 que la Terre pour en avoir encore aujourd’hui”, évalue Martin Turbet.

L’effet Trappist

Le chercheur a ainsi fait des tests pour imaginer les atmosphères des planètes Trappist-1. D’après ses modèles en 3D, elles pourraient avoir une composition semblable à celle de la Terre, en majorité du diazote et du CO2 ; ou une atmosphère de CO2 pure comme Vénus. Et si elles étaient totalement recouvertes d’eau ? Ces atmosphères virtuelles, combinées avec les simulateurs d’observation du JWST, sont d’ores et déjà prêtes à servir de base une fois que les vraies données seront là. “Si elles ont une fine atmosphère de CO2 comme Mars, on devrait voir des points froids ; si elles ont une atmosphère de méthane comme celle de Titan, elle devrait avoir été dissociée par les rayonnements de l’étoile”, liste le chercheur.

Après avoir mouliné tous les modèles, Martin Turbet s’est fait une conviction : soit les planètes n’ont pas d’atmosphère, soit elles ont une atmosphère dominée par l’O2 ou le CO2. Ça tombe bien, ce sera l’une des molécules les plus faciles à voir pour le JWST. À condition qu’il n’y ait pas trop de nuages en haute altitude, qui ont le défaut de masquer la composition chimique. “Au travers des instruments, une planète très nuageuse apparaît comme une planète sans atmosphère”, prévient Nikole Lewis, qui mènera l’une des campagnes d’observation à l’université Cornell. Martin Turbet s’impatiente : “Si les instruments marchent bien, si l’étoile n’est pas trop active dans l’infrarouge, et si les planètes n’ont pas trop de nuages, alors oui, cette année devrait nous révéler leur atmosphère…”

Un fort enthousiasme de tous

Et des signes de vie ? Tous en rêvent, sans trop oser y croire. Mais la recherche des compositions des atmosphères qui ne s’expliquent que par la présence d’une vie bat son plein. “Le système Trappist-1 crée un fort enthousiasme dans la communauté”, observe Elsa Ducrot. “La paire CO2-méthane est une biosignature possible. Nous aimerions beaucoup voir ça”, fantasme Victoria Meadows. Les deux molécules réagissent fortement l’une avec l’autre : si elles étaient détectées, cela signerait la présence d’une source importante de méthane sur la planète. Et la source la plus évidente est la vie. Idem pour une composition d’oxygène et de méthane… “Oui, j’ai l’espoir que cette démarche nous rapproche de la réponse à la fascinante question ‘Sommes-nous seuls dans l’Univers ?’ ”, assume la chercheuse.

Il y a sept ans, un système de planètes terrestres a été découvert, à portée de télescope. Le télescope est prêt. À partir de ce mois de juillet, l’exploration va enfin commencer.

Un article à retrouver dans Epsiloon n°13
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