astéroïde@GETTY IMAGES - STOCKTREK IMAGES - SHUTTERSTOCK

La mission qui va sauver le monde

Lancée à 21 000 km/h contre un petit astéroïde, la sonde Dart va tenter de dévier sa course. Avec cet exercice, l’humanité veut se prémunir d’un scénario catastrophe : celui d’un astre tueur percutant la Terre. Le premier acte d’une vraie défense planétaire.

par Mathilde Fontez,

Restez calme, ne paniquez pas. Ceci est un exercice. L’astéroïde Dimorphos ne menace pas la Terre. Aucun risque qu’il s’écrase sur la planète dans un remake du cataclysme qui mit fin à l’ère des dinosaures il y a 66 millions d’années… “C’est pour ça que nous avons choisi cet astéroïde, précise Patrick Michel, l’un des membres de la mission. Il ne faut surtout pas s’amuser à faire des tests sur un objet à la trajectoire sensible.” “Nous avons choisi cette cible en 2010 parce qu’elle passerait près de la Terre en 2022… ce qui nous laissait le temps de monter la mission”, ajoute Andy Cheng, à l’université Johns-Hopkins.

Un tout petit pixel

Et ça y est, nous y sommes. La sonde spatiale Dart a été lancée à l’automne 2021. Et le centre de contrôle du Maryland, aux États-Unis, se prépare à recevoir ses premières images. Tout va s’enchaîner en une heure, le 27 septembre prochain. Un peu après minuit, Dart se trouvera à 24 000 km de Dimorphos, qui apparaîtra sur les écrans sous la forme d’un unique pixel – Dart sera alors à 24 000 kilomètres de la cible. Il faudra encore attendre pour le distinguer. “On a une bonne idée de la forme de l’astéroïde principal grâce aux observations des radiotélescopes : Didymos ressemble à une toupie, épaissie au niveau de l’équateur, avec des pôles en pointe. Mais tout ce que l’on sait de Dimorphos, c’est qu’il est un peu allongé, décrit Tom Statler, responsable de la mission à la Nasa. Tant mieux ! cela fait partie du test : on est dans les mêmes conditions que celles qu’on pourrait retrouver dans la réalité si un objet nous arrivait dessus.”

Ce sera assez incroyable, tout le monde va être devant les écrans à regarder

Tom Statler, responsable de la mission à la Nasa

Vers une heure du matin, Dimorphos devrait commencer à apparaître, au rythme du téléchargement des données envoyées par la sonde. “Ce sera assez incroyable, tout le monde va être devant les écrans à regarder, anticipe l’astrophysicien. Jusqu’au moment où le flux d’images va s’arrêter.”

Le black-out signera le crash : la sonde Dart aura accompli son destin de kamikaze, elle se sera écrasée sur Dimorphos, lui transférant sa quantité de mouvement. Une minuscule pichenette – Dart pèse 10 millions de fois moins que sa cible –, mais qui devrait être suffisante pour ralentir l’orbite de l’astéroïde autour de son compagnon… Et ainsi tester pour la première fois la capacité des humains à détourner un corps céleste. 

Un vrai blockbuster

“Le couple d’astéroïdes sera au plus près de la Terre, précise Andy Cheng. Les télescopes pourront distinguer l’éclipse formée par le passage de Dimorphos devant Didymos, capter précisément sa trajectoire, et ainsi mesurer la déviation due à l’impact avec Dart.” Sans compter les données du petit satellite LICIACube, qui se sera éjecté de Dart dix jours plus tôt et devrait avoir survolé l’astéroïde trois minutes après l’impact. Voilà le plan. “C’est le premier test grandeur réelle d’une technique de défense planétaire. La première expérience qui vise à essayer de se préparer à l’arrivée d’un astéroïde dangereux vers la Terre”, résume Patrick Michel, à l’Observatoire de la Côte d’Azur.

Oui, la mission Dart est bel et bien en train de concrétiser un scénario de blockbuster : un astéroïde fonce sur la Terre et une mission s’organise pour tenter de le dévier. Y arrivera-t-elle ?

Frapper un astéroïde aussi petit avec un vaisseau spatial, c’est comme viser une pièce de monnaie à 1 000 km de distance

Andy Cheng, astronome à l’université Johns-Hopkins

Même s’il n’y a pas la crainte d’une apocalypse imminente, le stress est bien présent. “J’ai peur que Dart rate Dimorphos, souffle Andy Cheng. Frapper un astéroïde aussi petit avec un vaisseau spatial, ça n’a jamais été fait auparavant. C’est un défi énorme, comme frapper une balle avec une autre balle… En fait, c’est pire : Dart doit toucher une cible de 160 mètres à une distance de 10 millions de kilomètres à une vitesse 9 fois plus grande que celle d’une balle tirée d’un AK-47. C’est comme viser une pièce de monnaie à 1 000 km de distance.” 

Déjà deux premiers contacts

Mais la grande inconnue reste surtout l’impact lui-même. Comment l’astéroïde va-t-il se comporter ? Comment son orbite va-t-elle changer ? Des simulations numériques et des expériences d’impacts en laboratoire ont été réalisées ces dix dernières années, sauf qu’entre-temps, deux autres sondes ont touché deux astéroïdes : la sonde japonaise Hayabusa 2 a creusé un cratère sur l’astéroïde Ryugu en 2019 ; et la sonde américaine Osiris-Rex a pénétré les roches de l’astéroïde Bennu en 2020. Or, c’est peu dire que ces deux premiers contacts ont surpris. Sur Ryugu, on anticipait un cratère de l’ordre du mètre de diamètre, alors que 14 mètres ont été creusés… Et sur Bennu, la sonde a plongé dans les cailloux sans sentir aucune résistance !

“On s’est rendu compte à quel point les astéroïdes étaient différents de ce qu’on pensait. Et qu’on n’y comprend vraiment pas grand-chose”, résume Alain Herique, spécialiste de la composition de ces petits corps à l’université Grenoble-Alpes. 

La responsable de ces comportements étranges est la pesanteur, un million de fois plus faible sur ces petits astéroïdes que sur Terre. “On s’est rendu compte qu’il manquait quelque chose dans les simulations dans ce régime de faible gravité : une fois que le choc est passé, le cratère continue à se former, explique Adriano Campo Bagatin, spécialiste du sujet à l’université d’Alicante, en Espagne. Or jusqu’ici, on ne traitait que la physique du choc, on ne finalisait pas le cratère.”

Plus sûr de rien

Quid alors de l’impact de Dart sur Dimorphos ? “Avant, on était sûr que l’impact serait bien en dessous du régime de destruction de l’astéroïde. Maintenant, on n’est plus sûr de rien”, confie Patrick Michel.

Les nouvelles simulations réalisées depuis quelques mois prédisent en effet que l’astéroïde pourrait être totalement déformé, voire détruit. Ou que la déviation de son orbite pourrait être bien plus importante qu’attendu. “Le choc pourrait éjecter de plus grandes quantités de matière, détaille Sabina Raducan, à l’université de Berne. Nous évaluons que l’impulsion pourrait alors être trois fois plus élevée…”

On ne sait pas ce qui va se passer. C’est ça qui est excitant pour les scientifiques. Un peu moins pour sauver la planète…

Patrick Michel, Observatoire de la Côte d’Azur

Et ce, même si, a priori, la composition du couple Didymos-Dimorphos est différente de celle de Ryugu et Bennu. “Didymos est plus rocheux, sa composition de surface semble principalement faite de silicates, récapitule Kevin Walsh, spécialiste des astéroïdes à l’université du Colorado, à Boulder. Cela va être intéressant de voir comment cela change les choses. Moi, je pense que ces rochers seront plus résistants que ceux de Bennu, et créeront plus d’éjecta et de débris.”

Survoler le lieu du crime

“Chaque corps que nous avons visité nous a toujours surpris, avec des caractéristiques imprévues, parfois incompréhensibles”, lâche Adriano Campo Bagatin. “On ne sait pas ce qui va se passer. C’est ça qui est excitant pour les scientifiques. Un peu moins pour sauver la planète…”, sourit de son côté Patrick Michel. 

Et peut-être faudra-t-il attendre la mission européenne Hera, qui décollera en 2024, pour mieux comprendre ce qui s’est passé. Une sonde principale et deux satellites vont survoler le lieu du crime. “Nous allons sonder Dimorphos et Didymos sur une profondeur d’une centaine de mètres. Ce sera la première tomographie radar d’un astéroïde”, décrit Alain Herique, responsable du radar de la mission. Alors nous saurons si le premier test de défense planétaire a marché. Si, pour la première fois, l’humanité a réussi à agir sur la course des astres pour se protéger d’un éventuel Armageddon.

Les abonnements Abonnez-vous et ne manquez aucun numéro
Découvrez nos offres