Génération jeux vidéo : tout va bien
Ils rendraient asocial, violent… Comme toute nouvelle techno, les jeux vidéo ont d’abord fait peur. Mais les scientifiques disposent aujourd’hui du recul suffisant pour évaluer leurs effets sur notre cerveau. Leur verdict est clair : tout va bien.
Qu’on joue ou qu’on ne joue pas, impossible de passer à côté… Sur les 8 milliards d’êtres humains sur Terre, plus d’un tiers pratiquent plus ou moins régulièrement le jeu vidéo. C’est même devenu la première industrie culturelle du monde, devant la musique ou le cinéma.
Pour les scientifiques, c'est un fantastique sujet d’étude. Chaque semaine, les publications pleuvent, puis des méta-analyses regroupent à leur tour des dizaines, voire des centaines d’études. Aujourd’hui, avec le recul, les premières conclusions sont là. Sommeil, sociabilité, créativité, agressivité, ouverture d’esprit, capacité d’attention… Non seulement la plupart des préjugés tombent, mais on découvre que les jeux vidéo ont de vrais effets sur la cognition, qu'ils affûtent les sens, agissent sur le lien social. Plus de peur que de mal ? Retour en 16 points sur les tout derniers résultats.
1. En fait, il n’existe aucun lien entre jeu et violence
C’est l’un des premiers sujets à avoir été étudiés, dès le début des années 1990 : l’impact des jeux vidéo sur les émotions, en particulier l’agressivité. Or aucun lien sur le long terme n’a été véritablement établi. “De nombreux travaux ont initialement observé une corrélation entre la violence des jeux et l’agressivité des joueurs. Mais lorsqu’on se penche sur la question de la causalité, aucun résultat ne montre que les jeux affectent le comportement des joueurs”, explique Swann Pichon, chercheur en psychologie et en santé numérique à la Haute École de santé de Genève. Le raisonnement s’inverse même : ce serait parce que des personnes ont des traits de personnalité agressifs qu’elles auraient tendance à s’orienter vers des jeux violents.
“Les joueurs les plus compétitifs vont choisir des jeux qui leur permettent de se mesurer à d’autres”, détaille le chercheur. Sachant que de plus en plus d’indices tendent à montrer un effet relaxant des jeux vidéo. Une revue des connaissances de 2020 établit ainsi une diminution du stress, de l’anxiété, de la dépression ; et des études de 2022 indiquent même que les jeux multijoueurs auraient aidé à supporter le stress des confinements. Avec un bémol, en particulier pour les enfants. “Au-delà d’une pratique quotidienne raisonnable, cela se répercute sur le développement, prévient Swann Pichon. Car les jeux empiètent sur le temps alloué aux interactions sociales et à l’éducation.”
2. Les jeux vidéo n'ont pas d’impact sur le bien-être
Il n’y a aucune indication de l’existence d’un lien entre le temps passé à jouer et le bien-être du joueur, viennent de conclure des chercheurs de l’université d’Oxford, au terme d’une enquête menée sur les habitudes vidéoludiques de presque 40 000 personnes pratiquant sept jeux différents. Le seul véritable impact semble plutôt tenir à la motivation des joueurs : ceux qui allument leur console par plaisir présentent un bien-être plus élevé que ceux qui se sentent obligés de jouer pour terminer un niveau, par exemple. La question n’est pourtant pas tout à fait tranchée, ces travaux se fondant encore sur un trop petit nombre de jeux. Andrew Przybylski, responsable de l’étude, insiste : il faudrait que l’industrie vidéoludique permette aux joueurs de partager leurs données de jeux avec les chercheurs, ce qui est pour l’instant encore très difficile.
3. Leurs effets sur le sommeil sont toujours discutés
“Il y a très peu de travaux sur ce sujet. Il est difficile d’étudier le sommeil en maîtrisant le rôle de toutes les variables, comme la consommation de café et d’alcool”, regrette Giuseppe Curcio, chercheur en cognition à l’université de L’Aquila, en Italie. Une synthèse des principales publications scientifiques réalisée en 2019 donne des conclusions mitigées : certes, la pratique des jeux, en particulier les plus violents, pourrait provoquer une réduction du temps total de sommeil – de 1 h 30 en moyenne, selon certaines études – et un retard à l’endormissement de 30 à 45 minutes. Mais avec de grandes variations entre joueurs. Et l’explication n’est pas claire : “Les jeux vidéo ont-ils un effet direct sur le sommeil ? Ou est-ce que les joueurs ont un sommeil perturbé parce qu’ils ont tendance à passer leurs nuits à jouer et à décaler leur coucher ?”, interroge le chercheur. La seconde hypothèse semble actuellement privilégiée.
Dans les CV, on devrait voir de plus en plus souvent la pratique des jeux vidéo mise en valeur au même titre que les échecs
Lisa Ferrer, fondatrice de Kirae, entreprise visant à valoriser en entreprise les aptitudes acquises grâce aux jeux vidéo
4. Non, les joueurs ne sont pas forcément sédentaires
Le voilà, le grand préjugé : les jeux vidéo feraient le lit des mauvaises habitudes, transformant les humains en être immobiles et reclus, hostiles à toute activité physique. De quoi nuire à leur santé… Pourtant, les données sur le sujet sont loin d’être tranchées. Selon les chiffres publiés fin 2022 par le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs, 73 % des joueurs français auraient pratiqué une activité sportive au moins une fois par mois, contre seulement 67 % des non-joueurs. Sauf que certaines recherches font état d’une corrélation entre jeu et régime alimentaire plus gras et plus sucré, à même de provoquer l’obésité. La question reste donc en suspens.
Quant aux recherches sur les exergames, ces jeux comme Wii Sports pour lesquels on déplace son corps ou la manette, elles ont montré qu’ils pouvaient avoir un effet similaire à celui d’une séance de jogging. Mais ce type de jeu a été relégué au second plan par l’industrie vidéoludique depuis presque deux générations de consoles.
5. La dépendance reste rare
Quelle dépendance entraînent réellement les jeux ? “Le terme ‘addiction’ ne fait pas consensus, c’est plutôt l’expression ‘trouble de l’usage des jeux vidéo’ qui est employée”, explique Emma Boussand, pédopsychiatre. Deux raisons à cela : le phénomène reste rare – selon une méta-analyse réalisée en 2021 qui regroupait 53 études dans 17 pays, moins de 2 % de la population mondiale seraient concernés. Et la notion de dépendance est très difficile à établir : “Les phénomènes tels que le besoin de jouer toujours plus ou l’effet de manque, prépondérants dans les addictions aux substances, sont rarement rencontrés dans le jeu vidéo et cela même chez des personnes présentant des usages problématiques et intensifs”, détaille Joël Billieux, professeur de psychologie à l’université de Lausanne, qui suit ce sujet depuis 2004 et participe aux études de l’OMS.
6. Ils affûtent l'attention
Pour les joueurs, le moindre moment d’inattention peut entraîner la défaite… Ils deviennent donc particulièrement forts pour filtrer les informations parasites. Un exemple emblématique est le jeu de tir à la première personne. “C’est le même principe que lorsque vous conduisez une voiture et que vous devez vous concentrer sur la route plutôt que de vous laisser distraire par le paysage qui défile, décrit Davide Momi, chercheur en neurosciences computationnelles au Krembil Centre for Neuroinformatics, au Canada. Après un mois d’entraînement, les joueurs sont 15 % plus rapides que la moyenne de la population pour isoler des éléments importants, en ignorant le reste. Par exemple, pour repérer un L au milieu d’un lot de T sur un écran.”
La plupart des études s’accordent sur 10 à 15 % de réduction de temps de réponse après une vingtaine d’heures passées sur un jeu vidéo d’action. Un résultat d’autant plus intéressant qu’en général, une augmentation de la vitesse de traitement des informations s’accompagne d’une baisse de la précision. Or l’entraînement aux jeux vidéo d’action permet de s’affranchir de ce compromis. L’activité cérébrale des joueurs en témoigne : ils sont capables de diviser leur attention plus efficacement afin de suivre plusieurs éléments en même temps, tout en ignorant les sources de distraction.
7. Ils améliorent la perception visuelle
Les résultats sont indiscutables : de multiples études réalisées entre 2003 et aujourd’hui montrent qu’après une période d’entraînement de 20 à 40 heures réparties sur plusieurs semaines avec des jeux d’action, la plupart des joueurs ont connu une amélioration de leur vision. “Il y a un effet très net sur l’acuité, c’est-à-dire la perception des contours et des détails d’un objet”, indique Adrien Chopin, chercheur en sciences cognitives à la Sorbonne. Pour le mettre en évidence, les chercheurs ont fait passer le même test que celui utilisé par les ophtalmologistes, ces lignes de lettres de plus en plus petites qu’il faut lire à une certaine distance. “On observe un gain moyen de deux lignes à la suite de la période d’entraînement”, quantifie le chercheur. Ce n’est pas l’œil lui-même qui devient plus efficace à force de jouer, mais plutôt le cerveau qui analyse mieux les informations visuelles qu’il reçoit.
Ce n’est pas tout. D’autres études ont montré que les jeux d’action peuvent également améliorer la perception des contrastes, c’est-à-dire les variations entre des nuances plus ou moins sombres – c’est l’une des compétences impliquées dans la vision nocturne ou dans la capacité à distinguer des formes dans un épais brouillard. Selon une étude de 2009, les joueurs peuvent espérer une augmentation de 50 % de leur sensibilité. La vision périphérique va également profiter de cet entraînement. “Les jeux d’action demandent d’apprendre à monitorer un flux constant d’informations visuelles, et à réagir en conséquence en une fraction de seconde, observe Swann Pichon, de la Haute École de santé de Genève. Ils nous forcent à rester plus ouverts au traitement d’une quantité importante d’informations en vision centrale et en vision périphérique, afin de prendre des décisions rapidement dans le contexte du jeu : est-ce que je tire, est-ce que j’attends, est-ce que je bouge ?”
Ainsi, une étude de l’université de Colombie-Britannique, au Canada, indiquait en 2015 que la précision avec laquelle les joueurs détectent la présence d’un objet dans leur champ de vision périphérique est plus élevée que chez les non-joueurs. Tous ces effets s’expliquent : le cerveau se muscle, tout simplement. Quand on regarde directement par IRM le thalamus gauche, la région entre autres en charge du contrôle des fonctions visuelles, on voit nettement une augmentation du volume de matière grise. “On l’observe chez tous les sujets après une quarantaine d’heures passées sur un jeu de tir, décrit Davide Momi, du Krembil Centre for Neuroinformatics, qui a mené ce type d’étude. En examinant la taille du thalamus, il nous a même été possible d’obtenir une mesure très fiable du niveau de chaque personne dans le jeu !” Et ces changements persistent dans le temps, puisque plus de trois mois après la fin d’une période d’entraînement, l’augmentation du volume du thalamus était encore bien visible à l’IRM.
8. Ils surdéveloppent l'orientation dans l’espace
La plupart des jeux d’action demandent aux joueurs de s’orienter dans un environnement virtuel en trois dimensions, afin de progresser dans les niveaux. Une exigence qui a tendance à développer leurs aptitudes de cognition spatiale. “Il s’agit principalement de la capacité à manipuler des éléments visuels dans un espace mental, explique Adrien Chopin, chercheur en sciences cognitives à la Sorbonne. On la teste en demandant d’imaginer la rotation à 180° d’une forme complexe présentée sur un papier, qui ressemble un peu à une forme du jeu Tetris, mais en 3D.”
L’effet est net : après une phase d’entraînement de quelques semaines, un joueur est capable, en moyenne, de performances supérieures à celles de 70 % de la population. Les IRM du cerveau confirment ces changements : après un entraînement d’une quarantaine d’heures sur un jeu de tir à la première personne, comme Counter-Strike, l’épaisseur du gyrus parahippocampique, qui joue un rôle majeur dans l’orientation et la reconnaissance de l’environnement, augmente. Selon plusieurs études récentes, les jeux pourraient même aider à compenser la perte de ces compétences amorcée avec l’utilisation croissante des outils GPS…
9. Ils dopent la concentration
Un premier indice a été apporté dès 2013 par une petite étude ciblée sur les seniors : des chercheurs de l’université de Californie ont mis au point un jeu vidéo de course de voitures où il fallait conduire tout en appuyant régulièrement sur certains boutons, en réponse à des signaux placés le long de la route… De quoi entraîner leurs capacités cognitives ? La réponse est oui : après 12 heures de jeu réparties sur 4 semaines, les 46 participants âgés de 65 à 85 ans ont montré une amélioration importante de leur concentration et de leur mémoire à court terme. À tel point que leurs capacités dépassaient celles de jeunes de 20 ans non entraînés. Un verdict confirmé en 2020 par d’autres chercheurs américains qui ont, au passage, pu montrer que les jeux en 3D, comme Super Mario, avaient un effet bien plus marqué que ceux du type solitaire, ou même en 2D, comme Angry Birds.
10. Davantage de créativité ?
Les jeux influent-ils sur notre capacité à inventer, élaborer, créer ? C’est peu de dire que ce sujet, jugé ultra-prometteur, est exploré dans tous les sens depuis plus de vingt ans. Mais les résultats sont contradictoires : certaines études montrent des effets sur la créativité ; d’autres évoquent l’absence d’impact ; d’autres encore mettent en évidence une influence négative…
Selon Valérie Shute et Ahmad Rahimi, spécialistes du sujet à l’université d’État de Floride, ce serait parce qu’il existe une grande variété d’effets… en fonction du jeu. Les chercheurs ont ainsi montré en 2021 que ceux de type bac à sable, comme Minecraft, qui poussent à ce que les joueurs deviennent eux-mêmes des développeurs, mais aussi ceux de réflexion comme Portal 2, ou de construction comme SimCity, dopent bien la créativité. Ce qui n’est pas le cas pour les jeux de tir ou de course, à conditions de pratique équivalentes.
Par ailleurs, les jeux pourraient également provoquer un sursaut de créativité grâce à un autre processus appelé state of flow, autrement dit “état de flux”. Cet état particulier est une vieille idée, théorisée dès 1975 par un psychologue tchèque, Mihaly Csikszentmihalyi, sans lien à l’époque avec les jeux vidéo. Il décrit une concentration et absorption totales conduisant à une sorte d’extase, propice à une explosion d’idées. Un état que nombre d’études ont associé depuis aux jeux vidéo. Ainsi, pour Valérie Shute et Ahmad Rahimi, quand on expérimente le flow dans une partie, on perd le fil du temps et on s’immerge complètement, ce qui peut faciliter le travail créatif. Inversement, une démarche créative peut contribuer à faire venir un état de flow… Des études sont aujourd’hui en cours pour confirmer ces premiers résultats.
11. Ils boostent la mémoire de travail
Il n’y a plus de doute, les jeux vidéo d’action sont une machine à entraîner la mémoire à court terme. En particulier ce qu’on appelle la mémoire de travail : “Il s’agit plus ou moins de la zone tampon de notre cerveau, explique Adrien Chopin, chercheur en sciences cognitives à la Sorbonne. C’est là que sont placées certaines informations de notre mémoire à court terme, de façon à pouvoir les manipuler mentalement.” Cette mémoire n’a rien d’accessoire : outre que nous l’utilisons quotidiennement pour des tâches simples, comme composer un numéro de téléphone ou suivre une conversation sans en perdre le fil, elle est associée à de nombreuses facultés dont dépend directement la réussite scolaire : calcul mental, prise de notes, mémorisation, etc.
Au cours des tests cognitifs destinés à l’évaluer, les joueurs se distinguent. Ils sont meilleurs pour mémoriser des informations rapidement et reconnaître des différences visuelles. Adrien Chopin et son équipe l’ont expérimenté sur 77 volontaires : “Ceux qui ont été au préalable entraînés avec des jeux vidéo d’action progressent bien plus vite dans la mémorisation rapide et la perception de petites formes que les non-joueurs.”
C’est aussi la conclusion d’études de grande envergure, comme celle menée en 2022 à l’université du Vermont auprès de 2 217 enfants de 9 et 10 ans aux habitudes de jeu différentes. Là encore, ceux qui rapportent le plus grand nombre d’heures de pratique (environ 3 heures par jour) présentent des performances aux tests cognitifs supérieures à ceux qui ne jouent pas. Ils bénéficient non seulement d’une mémoire de travail plus performante, mais également de temps de réaction plus courts et d’un meilleur contrôle de l’impulsivité. “On sait depuis longtemps que cette mémoire de travail peut être entraînée avec des exercices cognitifs, rappelle le chercheur. Mais on s’aperçoit que les jeux vidéo facilitent nettement ce processus.”
12. Ils donnent une plus grande flexibilité mentale
Au quotidien, nous sommes tous amenés à naviguer régulièrement entre différentes tâches. Or chacune de ces transitions a un coût : une période de quelques centaines de millisecondes durant laquelle nos performances diminuent, le temps que le cerveau s’adapte… Mais chez les adeptes des jeux de stratégie en temps réel, comme StarCraft, ce délai est réduit de moitié. Une économie de temps infinitésimale qui, au bout d’une journée, peut finir par chiffrer. L’effet, montré pour la première fois en 2012, a été confirmé par de nombreuses études depuis.
13. Oui, ils rendent plus sociable !
Tous des geeks asociaux scotchés à leur écran ? Les études sur les joueurs contredisant ce cliché s’accumulent : en 2020, une équipe française a montré que le jeu de rôle Final Fantasy XIV permet de développer des interactions sociales entre joueurs, contribuant même à améliorer les capacités de travail en équipe et de coordination dans la vraie vie. En 2021, c’est une étude israélienne qui indiquait que les enfants passant du temps sur le jeu Fortnite sont plus enclins à partager les récompenses qu’ils gagnent…
Donc non : les jeux ne sont pas forcément la source de comportements antisociaux. Là encore, tout dépendrait en fait du type de jeu. Le secret du pouvoir social de Final Fantasy ? C’est une plateforme massivement multijoueurs qui invite à des contacts multiples. Quant à Fortnite, c’est son mode coopératif, où les joueurs forment des équipes, qui serait la clé du développement de la sociabilité. À l’inverse, le mode compétitif et solitaire ne produit aucun effet…
14. Une personnalité plus agile
Un humain expert en communication, particulièrement doué pour piloter des équipes, qui s’adapte facilement aux surprises et aux situations nouvelles… Et si les jeux vidéo fabriquaient des experts en soft skills, cet ensemble de compétences transversales particulièrement recherchées par les entreprises ? “Les spécialistes sont en train de s’intéresser de près à cette question”, témoigne Lisa Ferrer, qui a elle-même monté une entreprise visant à identifier et valoriser ces aptitudes. En effet, une étude réalisée en 2017 à l’université de Glasgow sur 100 jeunes adultes a montré que ceux qui ont joué à des jeux de genres différents (Borderlands 2, Minecraft, Warcraft III...) développaient de meilleures compétences en communication et adaptabilité.
Quant à certains titres, comme Civilization, ils sont reconnus pour former les joueurs à développer des stratégies et à planifier des tâches en temps réel… “Il y a encore peu de littérature sur ce sujet comparé aux études menées sur la santé, mais ça démarre, insiste Lisa Ferrer. Dans les CV, on devrait voir de plus en plus souvent la pratique des jeux vidéo mise en valeur au même titre que les échecs. Sans en rougir, comme c’était parfois le cas précédemment.”
15. Un esprit ouvert aux nouveautés
C’est un phénomène qui intéresse particulièrement les spécialistes de la pédagogie : une fois immergé dans le jeu, on oublie souvent qu’on est en position de découverte. Timidité, inhibitions ou peur de l’échec disparaissent sans qu’on s’en rende compte, et tout apprentissage devient plus facile. Dès 2005, le chercheur américain James Paul Gee a remarqué et démontré que les jeux pouvaient être un atout pour l’enseignement. Depuis, des générations de joueurs ont appris à parler anglais, par exemple à force d’évoluer dans World of Warcraft.
Les concepteurs de serious games aussi se sont engouffrés dans cette voie. D’autant qu’un autre phénomène pourrait renforcer cet effet : les jeux vidéo auraient le pouvoir de contrer la “malédiction de spécificité”. Celle-ci est bien documentée en psychologie : avec un peu de temps et d’entraînement, l’esprit humain est capable de s’améliorer facilement dans l’exécution d’une tâche, mais seulement dans cette activité spécifique – il travaille sur une chose à la fois et ne transpose pas. “Par exemple, si on vous entraîne à identifier l’alignement de deux lignes horizontales, vous allez, avec le temps, pouvoir repérer des différences de plus en plus infimes. Mais avec des lignes verticales, tout sera à recommencer”, détaille Adrien Chopin, à la Sorbonne. Or, dans les jeux vidéo, en particulier les jeux d’action, les chercheurs observent au contraire qu’après une période d’entraînement, les joueurs progressent systématiquement dans des tâches cognitives variées : vision, mémoire, réactivité. Leurs apprentissages apparaissent beaucoup plus rapides et globaux que chez les non-joueurs.
Un effet qui persiste dans le temps, avec des résultats significatifs plus d’un mois après l’entraînement. “Nous ne savons pas encore pourquoi… admet Adrien Chopin. Il est possible que les jeux vidéo stimulent toutes ces tâches directement dans le jeu, et d’une manière très variée, ce qui augmenterait mécaniquement le transfert. Le jeu pourrait aussi améliorer une compétence critique pour toutes ces tâches, comme le contrôle attentionnel ou la mémoire de travail, voire carrément augmenter la vitesse générale du fonctionnement mental. Nous avons des preuves parcellaires pour chacune de ces hypothèses et il est possible qu’elles soient toutes en partie vraies !”
16. Reste qu'ils renforcent certains stéréotypes
Hypersexualisation, stéréotypes raciaux, clichés et invisibilités… Le monde décrit dans l’univers de certains jeux vidéo a-t-il une influence sur les joueurs et les joueuses ? “Il y a encore peu d’études sur ce sujet, et leurs conclusions divergent parfois, mais une grande partie des travaux déjà publiés tendent à montrer que les jeux à contenu sexiste ont une influence sur la vision que les joueurs ont des femmes”, tranche Elisa Sarda, maître de conférences à l’université de Nantes, qui travaille sur les stéréotypes de genre.
“Certains jeux contribuent à augmenter les attitudes sexistes et renforcent certains préjugés”, conclut-elle, citant notamment une étude menée en 2019 par une équipe internationale sur un panel de 221 joueurs : ceux qui avaient joué avec des personnages féminins sexualisés ont déversé un lot de blagues sexistes nettement plus important que ceux qui sortaient du même jeu, mais avec des personnages non outranciers. “Oui, les études suggèrent que les jeux vidéo peuvent avoir des effets à court et long termes sur la manière dont nous regardons le monde, c’est-à-dire les autres et nous-mêmes”, confirme Elizabeth Behm-Morawitz, de l’université du Missouri, qui travaille, elle, sur l’impact des jeux vidéo sur toutes sortes de stéréotypes.