Big Bang@GETTY IMAGES

Au plus près du big bang

Trop de lumière, trop de poussière, trop de trous noirs, trop gros, trop vite. En remontant à 200 millions d’années seulement du big bang, le télescope spatial JWST explose tous les records et remet en cause le modèle standard. Au point de réécrire la genèse de l’Univers ?

par Simon Devos,

Galaxies trop lumineuses et trop matures. Trous noirs trop massifs. Trop nombreux. Poussière trop précoce. Trop, trop, toujours trop. C’est le sentiment qui ressort de la première année de plongée du télescope spatial James-Webb, le JWST, au cœur de l’Univers primordial. “Tout porte à croire que dans sa jeunesse, notre Univers était incroyablement fertile”, résume David Elbaz, astrophysicien au CEA. Assurément, c’est une surprise. Peut-être pas l’aube d’une révolution – “pas encore, ajoute malicieusement David Elbaz. Mais certains résultats ont le potentiel de bouleverser notre compréhension du début de l’Univers”. “Cette première année d’observations du JWST a été particulièrement riche en émotions”, souffle Joel Leja, spécialiste de l’Univers primordial à l’université de Pennsylvanie. 

Les images du télescope spatial le plus puissant du monde, lancé dans l’espace en décembre 2021 pour prendre le relais de l’emblématique Hubble, sont une belle épine plantée dans le pied du monumental modèle standard de la cosmologie. Il n’aura fallu qu’une année pour fissurer ce mastodonte, dont l’élaboration a nécessité des décennies de travaux théoriques et d’observations méticuleuses. 

Jusque-là, les cosmologistes avaient une confiance presque aveugle dans cette théorie globale de l’évolution de l’Univers, notamment en ce qui concerne la genèse des premiers astres et des premières grandes structures. Et ce, même s’il est truffé de zones d’ombre. À commencer par le début de l’histoire, il y a 13,8 milliards d’années : l’explosion originelle, le big bang, échappe, depuis son invention au début du XXe siècle, à toute description théorique.

Certains résultats ont le potentiel de bouleverser notre compréhension du début de l’Univers

David Elbaz, astrophysicien au CEA

Le cosmos, lorsqu’il émerge, est une soupe de particules extrêmement dense et chaude, incroyablement concentrée. Elle se dilate, s’étend, se refroidit, les particules s’assemblent et forment des noyaux d’atomes légers, des photons… L’Univers commence à ressembler à un nuage de gaz. Et c’est là que se situe la deuxième ombre : la matière noire, une mystérieuse substance jamais détectée malgré les efforts déployés par les physiciens depuis les années 1930. C’est peut-être une nouvelle particule, peut-être une loi physique inconnue, mais en tout cas, c’est elle qui façonne l’Univers primordial, d’après le modèle standard. “Tout s’amorce au cœur de surdensités incroyablement massives de matière noire dans l’Univers primordial, retrace Paolo Saracco, de l’Observatoire astronomique de Brera, en Italie. Ces halos de matière noire ont attiré à eux la matière ordinaire, qui a alors commencé à s’assembler pour former les premières étoiles, puis de toutes petites galaxies.” 

Écarts imprévus

Par la suite, ces structures grossissent doucement, accumulant la matière au fil du temps, piégeant peu à peu, par gravitation, de vastes nébuleuses de gaz, les comprimant pour former des millions, puis des milliards d’étoiles… “Cette croissance graduelle repose également sur le processus de fusion des galaxies avec leurs proches voisines”, ajoute Leonardo Ferreira, de l’université de Victoria, au Canada. En témoignent les archives galactiques, par exemple les observations récentes du satellite Gaia, qui ont confirmé que notre galaxie, la Voie lactée, elle-même, est issue d’une succession de rencontres avec d’autres grands ensembles d’étoiles, qui ont contribué à son gigantisme actuel. “Pour les trous noirs, l’idée est à peu près la même, ajoute Marta Volonteri, de l’Institut d’astrophysique de Paris. En théorie, ces objets se forment lorsqu’une étoile très massive s’effondre en mourant, puis grossissent pas à pas, en accrétant de la matière ou par fusions successives, jusqu’à devenir très massifs, voire supermassifs au centre des galaxies.”

Les galaxies peuvent grossir incroyablement vite, ce qui prend en défaut le modèle standard

Paolo Saracco, de l’Observatoire de Brera, à Milan

Ainsi, qu’il s’agisse des étoiles, des galaxies ou des trous noirs, tout portait à croire que les processus de croissance prennent un certain temps. Un délai minimal que les chercheurs avaient même pu estimer, en se basant par exemple sur les taux actuels de formation d’étoiles et de fusion de galaxies. À la louche, il faudrait compter presque 2 milliards d’années avant de voir apparaître des structures à peu près matures, comparables à celles que l’on trouve dans l’Univers actuel. Ce calcul en main, les chercheurs s’attendaient donc à ne rien distinguer d’autre, dans les observations les plus lointaines de JWST, qu’une myriade de petites galaxies informes, à la luminosité blafarde, et éventuellement quelques bébés trous noirs dispersés çà et là. Les images sont allées complètement à l’encontre des prévisions. Tout semble au contraire s’être passé plus vite. Beaucoup plus vite.

Une flopée de nouvelles venues

Avant l’arrivée de JWST, de petits écarts à la norme avaient déjà été dénichés. L’un des plus emblématiques, baptisé C1-23152, a été étudié en 2020 par Paolo Saracco et son équipe à l’aide du Grand Télescope binoculaire de l’université d’Arizona. “Nous avons découvert que cette galaxie avait réussi à former quelque 200 milliards d’étoiles en seulement 500 millions d’années, raconte le chercheur. N’ayant pas décelé de trace de fusion ancestrale, nous en avons déduit que les galaxies peuvent grossir incroyablement vite, prenant déjà en défaut le modèle standard.”

Il y a aussi la découverte, en 2019, d’une famille de 39 galaxies de moins de 2 milliards d’années après le big bang, et déjà assez massives. De quoi pousser les chercheurs à s’interroger sur la prééminence de tels objets dans l’Univers jeune. “Mais ces cas pouvaient encore passer pour des exceptions, rappelle Joel Leja. Désormais, avec la flopée de nouvelles venues plus anciennes encore, révélées par le James-Webb, la tendance se confirme.”

Premier réflexe des astrophysiciens devant cette salve de surprises : appeler à la prudence. La genèse de l’Univers n’est pas un sujet anodin. Le changement de paradigme doit prendre du temps, suivant le précepte selon lequel “les affirmations extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires”, formulé par le célèbre physicien Carl Sagan. 

Le cœur de la cible

D’autant que les données du télescope spatial James-Webb, le plus gros jamais envoyé dans l’espace, ce bijou de technologie qui a nécessité 10 milliards de dollars, 25 ans de travail et qui mobilise la quasi-totalité de la communauté des astrophysiciens, ont tendance à rendre fou. Sa précision record déclenche une frénésie de publications, une course à la découverte, une excitation hors normes – même chez les scientifiques. Et s’il a été conçu, c’est précisément pour sonder l’Univers primordial, explorer ces premières centaines de millions d’années après le big bang – nous vous le racontions dans Epsiloon #6C’est son objectif principal, le cœur de cible.

“Des biais peuvent subsister, prévient Nicolas Laporte, de l’université de Cambridge. Nous n’en sommes qu’à une année d’observations, avec seulement quelques régions du ciel scrutées qui ne sont peut-être pas si représentatives que cela. Et il y a probablement quelques faux : l’estimation de la distance – et donc de l’âge – d’une galaxie est une opération très complexe à réaliser…” 

La méthode la plus simple consiste en effet à mesurer la quantité de lumière. Plus une galaxie est lointaine, moins elle est brillante : un procédé pratique, facile à mettre en œuvre… mais quelque peu grossier. Il a déjà mené à plusieurs erreurs. Et l’astrophysicien de rappeler le cas de la galaxie CEERS-1749, 5 milliards de fois la masse du Soleil, localisée dans un premier temps seulement 220 millions d’années après le big bang. “JWST a par la suite permis de trouver dans son entourage trois autres galaxies moins lointaines. Vu leur proximité, il est à peu près certain que CEERS-1749 fait partie de ce groupement pas si ancien que cela, et que des poussières situées juste devant la galaxie ont masqué la vue, nous amenant à surestimer sa distance.”

Une méthode imparable

C’est d’ailleurs une piste sérieusement envisagée pour expliquer une partie des anomalies trouvées par le télescope spatial. Ce serait une découverte en soi, car cela voudrait dire que la poussière se révèle bien plus présente dans l’Univers que prévu par les modèles. “Globalement, jusque-là, la quantité de poussière des galaxies et son rôle n’étaient pas considérés dans les simulations, avoue Marta Volonteri. Or elle peut à la fois brouiller les observations et aider à la formation d’étoiles dans les galaxies. Il est grand temps d’en tenir compte.” 

Pour contrer ce problème, les chercheurs se tournent de préférence vers une méthode imparable, la spectroscopie : décomposer la lumière en provenance d’une galaxie, chercher dans le spectre obtenu des petites bandes spécifiques à certains éléments qui s’y trouvent, mesurer leur décalage par rapport à la normale du fait de l’expansion de l’Univers… et en déduire une distance. Mais la méthode nécessite une observation plus soigneuse : JWST a détecté 72 galaxies primordiales, 72 continents célestes qui sont plus loin de nous, plus proches du big bang que la plus lointaine galaxie jamais vue avant – GN-z11, découverte par Hubble en 2016. Mais seules sept d’entre elles ont fait l’objet de cette vérification : ADES-GS-z13-0 ; ID-13077 ; JADES-GS-z12-0 ; ID-38766 ; GLASS-z12 ; JADES-GS-z11-0 ; et la galaxie de Maisie. D’autres galaxies candidates au record pourraient être déchues dans les prochains mois.

Giga bac à sable

Reste que sans attendre, les cosmologistes commencent à essayer d’expliquer. Trop vite, trop gros… pourquoi ? En quelques mois, cet Univers jeune dévoilé par JWST est devenu un gigantesque bac à sable pour les astrophysiciens du monde entier. Chacun y va de son idée, ressort de vieilles hypothèses, parfois exotiques, ajoute aux modèles de nouveaux astres, de nouveaux effets physiques pour tenter d’apporter une esquisse d’explication à ces anomalies.

La première explication possible est assez évidente : les galaxies ancestrales pourraient-elles tout simplement avoir été, d’une manière ou d’une autre, différentes de celles d’aujourd’hui ? 

“Actuellement, la Voie lactée ne produit même pas une dizaine d’étoiles chaque année, ce qui apparaît à peu près comme une norme dans l’Univers local, explique Daniel Schaerer, de l’Observatoire de Genève. Mais peut-être que ce n’était pas le cas par le passé : les premières galaxies étaient peut-être beaucoup plus productives !” Le calcul avait déjà été réalisé pour C1-23152 : pour devenir aussi massive en si peu de temps, cette galaxie a dû former près de 450 étoiles par an – plus d’une par jour ! Et des hypothèses ont déjà été jetées pour expliquer cette ultrafertilité. Elle pourrait être liée à la composition primordiale de ces galaxies, bien différente de celle des continents célestes actuels… 

Nos modèles se fondent sur des extrapolations de nos observations. Nous voyons désormais les limites de ce raisonnement

Barbara Mazzilli Ciraulo, de l’Université de Swinburne, à Melbourne

“On peut supposer que les galaxies du début de l’Univers contiennent assez peu d’éléments lourds, comme le fer ou le carbone, puisque ceux-ci se forment progressivement, à mesure que des générations d’étoiles vivent et meurent. Peut-être que cela a une influence sur le rythme de formation”, détaille Nicolas Laporte. Les théoriciens sont en train d’ajuster leurs simulations. Certains ­travaillent également à modifier un autre paramètre crucial : celui du rythme de fusion des galaxies. “Le fait que nous observions des structures déjà très matures pourrait indiquer qu’il y a moins de fusions que prévu par les modèles, suppose Leonardo Ferreira. Il faut les modifier, et observer ce que donnent en sortie les simulations.”

Ou bien ce seraient les étoiles elles-mêmes qui seraient plus massives que prévu. “On assimile spontanément l’excès de lumière des galaxies à un surplus de masse et donc d’étoiles, raisonne Stéphane Charlot, de l’Institut d’astrophysique de Paris. Mais il est tout à fait possible que ces objets apparaissent plus brillants pour bien d’autres raisons : parce que les astres eux-mêmes sont très lumineux.” 

Totalement hors normes

Et les astrophysiciens de pointer là encore le biais de leurs modèles, basés sur les galaxies les mieux connues, c’est-à-dire celles d’aujourd’hui, dans notre environnement proche, qui abritent une proportion relativement faible d’étoiles très massives… Rien n’indique que les toutes premières galaxies étaient identiques à leurs consœurs modernes ! “Nos modèles se fondent sur des extrapolations de nos observations de l’Univers local. Nous voyons là les limites de ce raisonnement”, constate Barbara Mazzilli Ciraulo, à l’université Swinburne, en Australie. “L’Univers était très différent à cette époque, et il n’est pas impossible que par un procédé encore non identifié, les premières galaxies aient formé beaucoup plus d’étoiles massives, les rendant trop brillantes relativement à nos normes actuelles”, analyse de son côté David Elbaz. 

Des monstres stellaires totalement hors normes pourraient même être envisagés. 

C’est ce que suggère l’une des observations emblématiques du JWST, celle de la galaxie GN-Z11, qui a longtemps détenu le record de distance, à 441 millions d’années du big bang. Elle a donc naturellement été ciblée par le télescope, en février 2023, et les données ont offert une surprise : une grande quantité d’azote, “comme nous n’en avions jamais vu ailleurs”, s’extasie Corinne Charbonnel, qui a mené l’étude à l’Observatoire de Genève. De l’azote qui, d’après les modèles des chercheurs, signerait la présence d’une grosse concentration d’étoiles, quelques centaines de milliers, toutes liées les unes aux autres par la gravitation, qui se seraient formées en même temps que leur galaxie. 

Des étoiles noires ?

Pour l’équipe de Genève, dans un tel amas globulaire, les étoiles pourraient facilement entrer en collision, jusqu’à former des astres extrêmement massifs – de l’ordre de plusieurs milliers de fois la masse du Soleil ! Dix fois plus que la plus grosse étoile connue aujourd’hui ! Des monstres stellaires… dont la physique est encore difficile à imaginer : la température en leur cœur atteindrait jusqu’à 75 millions de degrés ; la fusion des noyaux atomiques d’hélium et d’hydrogène y serait frénétique… “La forte proportion d’azote mesurée dans GN-Z11 ne peut a priori s’expliquer que par la combustion de l’hydrogène à très haute température. Des conditions que l’on ne retrouverait qu’au sein de ces hypothétiques étoiles super­massives”, récapitule pourtant Corinne Charbonnel. 

À moins qu’il ne s’agisse d’astres plus exotiques et plus extrêmes encore, des étoiles noires, surchauffées par l’annihilation… de particules de matière noire. 

“C’est une hypothèse très sérieuse pour expliquer l’excès de luminosité de ces objets primordiaux, avance Katherine Freese, qui travaille sur ce concept théorique depuis des années, à l’université du Texas. Ce sont au départ des objets théoriques, dont on imagine qu’ils se forment au cœur des halos de matière noire primordiaux. Ils seraient composés principalement d’hydrogène et d’hélium, mais comprendraient 1 % de particules de matière noire qui leur offriraient un chauffage extrêmement énergétique.” 

Vertigineux

Les calculs sont en effet vertigineux : ces étoiles noires pourraient atteindre un rayon équivalent à 10 fois la distance Terre-Soleil ; une masse 10 millions de fois supérieure à celle de notre étoile pour une luminosité 10 milliards de fois plus grande. C’est simple : ils pourraient briller autant qu’une galaxie entière. 

Katherine Freese et ses collaborateurs ont fait les calculs au printemps dernier à partir des données du JWST : trois des galaxies les plus anciennes ­observées par le télescope – JADES-GS-z13-0, JADES-GS-z12-0 et JADES-GS-z11-0 – pourraient avoir les bonnes caractéristiques. Elles sont candidates au titre de première étoile noire jamais détectée. Cerise sur le gâteau : en mourant, ces astres pourraient se transformer en trous noirs largement plus massifs que ne le sont leurs homologues issus d’étoiles massives classiques. De quoi expliquer l’étonnante abondance de ces astres très lourds dans l’Univers jeune. 

Le scénario des trous noirs primordiaux résout tous les problèmes sans modifier le modèle cosmologique, ce qui est sympathique  !

Sébastien Clesse, de l’université de Bruxelles

Car pour les chercheurs, cette étrange présence de trous noirs massifs très tôt dans l’Univers est loin d’être anecdotique. Parmi toutes les anomalies détectées avec JWST, les trous noirs semblent la plus solide. Il n’y a pas d’incertitude de distance : cela pousse indéniablement les théories dans leurs retranchements. Là aussi, les astrophysiciens sortent des cartons des modèles alternatifs. Étoiles noires ? Peut-être… Ou bien “effondrement direct” : au lieu de naître lentement de la mort d’une étoile, ces trous noirs pourraient avoir surgi brutalement, dans les premières centaines de millions d’années après le big bang, en même temps que les premières étoiles, ­directement de halos de matière noire. Sur le papier, ça marche : les simulations parviennent à faire effondrer des nuages de matière sans qu’ils ne s’allument jamais, sans qu’ils fusionnent le moindre noyau d’atome, directement en un point à la densité infinie. 

Première validation

Le scénario, qui fait l’objet de travaux depuis une dizaine d’années, a même déjà été adoubé pour expliquer la population de trous noirs supermassifs dans notre environnement proche. Et en août dernier, une équipe rassemblant des spécialistes de plusieurs universités américaines a étudié les caractéristiques du trou noir massif UHZ1 observé par le JWST, et conclu qu’il est très probablement issu d’un effondrement direct. “C’est potentiellement une première validation de ce procédé de formation, qui n’était que théorique jusque-là”, ose Marta Volonteri, l’une des grandes spécialistes mondiales du sujet.

Or, si cette population de trous noirs ultra-précoces et massifs se confirme, elle devrait avoir joué un rôle décisif dans la formation, la structuration et la maturation des galaxies. « Ils seraient en un sens les architectes de notre Univers », songe Dale Kocevski, qui travaille sur le sujet au Colby College, aux États-Unis.

Sans compter que la population d’astres sombres pourrait être encore plus nombreuse, plus diffuse, plus importante. Les découvertes du JWST font en effet revenir sur le devant de la scène une vieille hypothèse, longtemps délaissée : les trous noirs primordiaux. “Cette théorie est longtemps restée très exotique, très marginale, mais elle reçoit depuis quelques années un regain d’attention important, observe Vincent Vennin, qui travaille sur le sujet à l’École normale supérieure de Paris. Les observations du James-Webb renforcent cet intérêt.” 

Difficile d’écrire une histoire cohérente

Plus extrême encore que l’effondrement direct, l’idée est que des trous noirs aient pu se former directement à partir de la soupe quantique du début de l’Univers, avant même la naissance des particules, quelques fractions de seconde après le big bang. ”On a fait les calculs et on a vu que ça peut marcher, précise le chercheur. Quand les fluctuations quantiques primordiales commencent à s’effondrer, si leur taille est suffisante, il peut se former des trous noirs assez naturellement.” 

Ce seraient de petits trous noirs – la masse d’une montagne concentrée dans la taille d’un proton. Mais ils pourraient aussi être plus gros : “Les trous noirs primordiaux peuvent faire de 10 grammes à des millions de masses solaires, il n’y a pas de contrainte théorique, sourit Bernard Carr, l’un des inventeurs de ce concept, il y a 40 ans, à l’université de Londres. Surtout, ils pourraient faire les graines des trous noirs supermassifs et des galaxies.” Ce pourrait être l’ingrédient qui manque pour expliquer l’incroyable dynamisme de l’Univers primordial.

“Cela colle très bien aux observations du James-Webb, renchérit Sébastien Clesse, de l’université de Bruxelles, qui défend la théorie depuis des années. Et en prime, les trous noirs primordiaux pourraient constituer la matière noire. On résout tous les problèmes. Et on arrive à le faire sans modifier le modèle cosmologique, ce qui est assez sympathique !” “Les masses des objets trouvés par le James-Webb pourraient correspondre à ce type d’astres, observe de son côté Marta Volonteri. Cela ne constitue pas encore une preuve de leur existence, mais oui, ils sont une alternative pour expliquer cette abondance de trous noirs massifs.”

Savourer le moment

Trous noirs primordiaux, étoiles supermassives, étoiles noires, galaxies frénétiques, fusions multiples… Difficile d’écrire une histoire cohérente. Des trous noirs primordiaux émergeraient, suivis par des monstres : étoiles et trous noirs hypermassifs qui attireraient les gaz, formant des continents cosmiques en accéléré… Le tout noyé peut-être dans un immense nuage de poussière. Les scénarios s’empilent plus qu’ils ne se lient. Avec les données du JWST, c’est une genèse éclatée qui surgit, un kaléidoscope de révolutions conceptuelles. “Nous devons tenter de relier entre elles les différentes observations, milite Dale Kocevski. Par exemple, est-ce que les galaxies apparaissent trop massives parce qu’elles possèdent en leur cœur un trou noir supermassif actif, qui rayonne par accrétion ?” “Il faut impérativement faire dialoguer différents domaines d’étude en astrophysique”, renchérit Daniel Schaerer. 

Mais pour l’instant, les astrophysiciens retiennent leur souffle. On les soupçonne de savourer le moment. Encore quelques mois de données  ils prolongent le temps de l’émerveillement. Le plaisir de l’énumération des records : 366 millions d’années après le big bang  355 millions  325 pour les galaxies confirmées. 319 millions  282  272  264  244 pour celles qui sont en attente de confirmation. On s’approche… 

Sur le papier, JWST a été conçu pour plonger son regard jusqu’à 100 millions d’années après le big bang. Il pourrait même s’approcher, selon les prédictions les plus optimistes, jusqu’à quelques dizaines de millions d’années de l’origine. D’ici à la fin 2024, treize projets d’observations sont d’ores et déjà au programme, qui ciblent l’Univers primordial. Toute la communauté a les yeux tournés vers l’origine de l’Univers.

Un article à retrouver dans Epsiloon n°28
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