
En ville, les arbres n’ont pas que des effets positifs
Planter des arbres en ville pour lutter contre la pollution et ses effets ? La solution paraît naturelle, dans tous les sens du terme. Sauf pour l’écologue Zander Venter, qui a étudié leur impact à l’échelle de la rue.
Epsiloon : Nous considérons pourtant comme acquis le fait que les arbres et les végétaux diminuent la pollution de l’air…
Zander Venter : C’était mon cas aussi ! Jusqu’à ce que je tombe sur des études expérimentales tendant à montrer qu’en ville, les arbres n’étaient pas si efficaces que ça, en particulier à certaines échelles locales. Ça a été notre point de départ. Nous avons alors décidé de mener une étude à la fois globale et précise. Les données existaient, il suffisait de les rassembler…
Epsiloon : Vous avez choisi de vous concentrer sur les effets de la végétation sur la pollution…
Zander Venter : Oui, en accédant aux données de 2 615 stations de mesure de la qualité de l’air en Europe et aux États-Unis entre 2010 et 2019, nous avons d’abord obtenu des séries chronologiques annuelles de concentrations des principaux polluants atmosphériques : le dioxyde d’azote, l’ozone et les particules en suspension, PM10 et PM2.5. Puis nous avons mesuré la couverture végétale en mixant deux approches : une automatique, pour extraire les changements au fil du temps à partir d’images satellites. Et une manuelle, à partir d’images aériennes très haute résolution, afin de valider ces évolutions dans un rayon de 60 mètres autour de chaque station. Enfin, des modèles statistiques nous ont permis d’estimer l’association entre espaces verts et qualité de l’air – en isolant les autres variables, comme les émissions locales liées au trafic, les changements météorologiques…
Epsiloon : Et ces effets apparaissent plus faibles que prévu ?
Zander Venter : Beaucoup plus faible, oui. Certes, tous les polluants ont diminué au cours de ces neuf années, mais ces améliorations sont en grande partie liées aux politiques de réduction d’émissions menées en Europe et aux États-Unis. Quant à l’effet de la végétalisation, il apparaît négligeable. À différentes échelles, de la rue à la ville, il atteint seulement 0,8 % en moyenne sur dix ans ! Voire encore moins si on tient compte du fait qu’un coup de vent suffit à remettre en suspension dans l’air les polluants qui se déposent sur les feuilles… Notre analyse montre que la météo a des effets beaucoup plus importants que la végétation. À titre d’exemple, l’humidité relative a dix fois plus d’impact.
Epsiloon : Vous trouvez même un effet néfaste des arbres à l’échelle de la rue…
Zander Venter : En effet, et notre revue de la littérature expérimentale le confirme : l’augmentation des polluants atteint 20 à 96 % par rapport à des rues dépourvues d’arbres. C’est logique quand on y pense, à cette échelle, les arbres limitent le flux d’air et piègent les polluants atmosphériques au niveau du sol… Sans eux, ils seraient dispersés dans l’atmosphère. Une végétation basse, comme les haies, conviendrait mieuxnbsp;; à condition qu’elle soit continue, dense et de préférence située au centre plutôt que le long de la rue…
Epsiloon : Faut-il pour autant arrêter de végétaliser ?
Zander Venter : Surtout pas ! La végétation est très importante pour tout un tas d’autres raisons : elle réduit les chaleurs extrêmes, absorbe de l’eau en cas de fortes pluies, améliore la santé mentale des citoyens. Mais il faut être plus stratégique. Si nous voulons réduire le risque d’augmentation locale de la pollution atmosphérique, on doit réfléchir à l’endroit où nous plantons ces arbres. Et les urbanistes devraient aussi se demander si les espèces choisies produisent ou non de grandes quantités de pollens ou de composés organiques volatils, les COV, susceptibles de dégrader encore la qualité de l’air. à Los Angeles, par exemple, ces composés contribuent pour un quart des particules secondaires lors des journées chaudes.
Epsiloon : Mais alors, pourquoi préconise-t-on toujours de planter des arbres pour limiter la pollution urbaine ?
Zander Venter : Je suppose que cette idée est dans l’air du temps : l’écologisation des villes, la plantation d’arbres sont considérées comme positives. Mais en continuant à promouvoir la prétendue capacité de la végétation à atténuer la pollution, nous risquons de détourner des ressources nécessaires à la stratégie la plus importante pour améliorer la qualité de l’air : la réduction de nos émissions anthropiques.