portrait de Ruth Loos@DAVID DESPAU/COLAGENE.COM

“L’obésité n’est pas forcément une maladie”

Pour Ruth Loos, professeure à l’université de Copenhague, associer systématiquement l’obésité à un problème de santé est une erreur. La chercheuse s’en explique travaux à l’appui. Cette méconnaissance ne serait pas sans conséquences…

par Muriel Valin,

Epsiloon : Vous dites qu’il faut arrêter d’associer systématiquement l’obésité à une maladie… 
Ruth Loos : Oui. Nous avons récemment réussi à repérer 62 sections de notre génome significativement associées à des niveaux élevés de graisse corporelle, mais aussi à un risque plus faible de maladies cardiaques et métaboliques. Un individu peut donc génétiquement être prédisposé à être obèse sans que cela soit dangereux d’un point de vue métabolique ou cardio-vasculaire. On estime même que 15 à 45 % des personnes obèses seraient en bonne santé métabolique, quand 6 à 30 % des personnes ayant un poids normal auraient, elles, des problèmes de santé de ce type, ou d’ordre cardiaque. Cette fourchette de chiffres peut sembler large car les critères de définition ne sont pas encore bien établis. Mais ces observations commencent à être bien documentées et les recherches sur ce sujet augmentent de manière exponentielle.

Epsiloon : L’obésité reste pourtant un facteur de risque avéré… 
Ruth Loos : Vous avez raison. La prise de poids a toujours été liée à la santé, et ce sujet est devenu encore plus important au cours des quarante dernières années : la prévalence de l’obésité a en effet triplé chez les adultes. Et l’augmentation chez les enfants et les adolescents est aussi très importante. En parallèle, on a largement eu tendance à associer l’image des personnes minces à la notion de bonne santé. Mais ce que nous pointons, c’est que ce n’est pas toujours le cas. C’est même très réducteur, et problématique.

Epsiloon : Pourquoi ? 
Ruth Loos : Parce que lier automatiquement maladies et surpoids peut entraîner des erreurs médicales et de mauvaises prises en charge. C’est vrai que l’obésité est un facteur de risque important pour un certain nombre de maladies. Du coup, il est justifié, lorsqu’un patient obèse arrive chez un médecin, de vérifier des paramètres comme son taux de glucose ou la pression artérielle… Mais un patient obèse peut être malade pour d’autres raisons que son poids. Et ces raisons peuvent passer inaperçues si le médecin met systématiquement ses problèmes sur le compte de l’obésité. Inversement, et c’est peut-être le plus gros risque, un médecin peut passer à côté de maladies cardio-métaboliques chez une personne de poids “normal” : il ne suspectera pas de facteurs de risques chez elle parce qu’elle ne présente pas le profil type. 

Epsiloon : Comment éviter cela ? 
Ruth Loos : Il faudrait redéfinir l’obésité et arrêter d’associer les problèmes de santé à un simple IMC, l’indice de masse corporelle, trop élevé. [On considère qu’une personne est obèse quand son IMC est supérieur à 30.] Cela passe par une meilleure compréhension des mécanismes qui relient ou ne relient pas l’excès de poids à des maladies comme le diabète de type 2, l’hypertension ou les maladies cardio-vasculaires… Et c’est pour cela que, dans mon groupe de travail, nous cherchons à identifier les gènes qui pourraient être impliqués dans ces liens et leurs processus biologiques sous-jacents. 

Epsiloon : Cette meilleure compréhension permettrait d’améliorer les réponses médicales et le suivi ? 
Ruth Loos : Oui, et pour tout le monde. Si nous déterminons mieux le rôle et l’effet de ces gènes, nous pourrions être en mesu­re d’identifier qui est susceptible d’être obèse et en bonne santé, et qui est exposé à plus de risques. Nous pourrions aussi mieux ajuster les diagnostics et les traitements proposés, avec de bons marqueurs et des médicaments adaptés. Et développer de nouvelles thérapies mieux ciblées, qui réduisent le risque de diabète et les maladies cardiaques. Même s’il faut garder à l’esprit qu’une personne en surpoids risque d’avoir un jour ou l’autre des soucis d’articulations ou de sommeil dus à sa surcharge pondérale. Pour les personnes non obèses, il faudra aussi réussir à faire passer le message qu’elles peuvent être sujettes à des problèmes cardio-vasculaires et qu’il est utile d’être surveillé très régulièrement pour l’éviter.

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