Donald Trump : quel impact sur la science ?
Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche devrait avoir des répercussions sur la recherche, l’autorité de la parole scientifique et même la place de la raison dans le débat public. Nous avons demandé aux premiers concernés ce qu’ils en pensaient.
26 novembre 2024, 56 jours avant l’investiture de Donald Trump, Frances Arnold, la conseillère scientifique du président Biden, s’excuse auprès d’Epsiloon : “Je suis désolée, je n’ai pas le temps, je suis débordée depuis les élections.” L’annonce du retour du républicain à la tête de la Maison Blanche souffle un vent de panique chez les scientifiques américains, dont une large majorité se déclarait pro-Kamala Harris, selon un sondage réalisé juste avant l’élection. “Il y a une vraie fébrilité”, reconnaît Romuald Sciora, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis à l’Iris, l’Institut de relations internationales et stratégiques. Quel va être l’impact de cette réélection sur la politique de la recherche ? Sur l’autorité de la science ? Voire sur la place de la raison dans le débat public ?
Signal fort
“On ne peut que spéculer, personne ne sait vraiment ce qui va se passer”, réagit Caroline Wagner, experte des politiques scientifiques et technologiques à l’Ohio State University. “Il est trop tôt pour dire si la rhétorique de campagne se traduira par de nouvelles politiques”, temporise Joanne Padron Carney, directrice des affaires gouvernementales à l’American Association for the Advancement of Science, la plus grande société scientifique au monde. Mais au vu de la place dominante de ce pays dans la production scientifique, le sujet dépasse les frontières nord-américaines.
Au moins sur les budgets, j’ai l’espoir que le Congrès puisse garder Trump sous contrôle
Kenneth Evans, expert en politique scientifique et technologique, université Rice
Pas de suspense pour la prix Nobel de chimie Frances Arnold, qui devrait rapidement quitter son poste à la tête du comité présidentiel – l’équivalent de notre ministère de la Recherche. “Une nomination rapide est un signal fort de l’attention accordée à la science”, relève Kenneth Evans, de l’université Rice, qui a publié l’an dernier une étude sur ces comités – lors de son premier mandat, Trump avait attendu près de deux ans pour choisir ses conseillers.
Le 47e président des états-Unis a vite dévoilé les premiers noms de son Administration. Dans le lot, des antivax, des climatosceptiques… “Ce n’est pas de bon augure pour l’avenir de la science américaine”, commente Kenneth Evans. “Les seules bonnes nouvelles concernent les programmes spatiaux, les nouvelles technologies et la recherche militaire”, observe Romuald Sciora. L’influence considérable d’Elon Musk, qui s’est vu offrir le poste nébuleux de réformateur de l’État fédéral, y est pour beaucoup. En accord avec le nouveau président, le patron de SpaceX, Tesla et xAI, sa nouvelle société dédiée à l’intelligence artificielle, prône une déréglementation massive.
Sans garde-fous
Les domaines de recherche qui ne s’alignent pas sur cette vision ultralibérale, comme la climatologie ou les sciences sociales, risquent d’être les grands perdants. “Trump, c’est l’exacerbation d’une tendance observée depuis la présidence Reagan, dans les années 1980 : les intérêts conservateurs et commerciaux remettent en question la science quand elle démontre les dommages causés par notre système économique”, dénonce Naomi Oreskes, historienne des sciences à Harvard.
De nombreuses agences ont renforcé leurs règles d’intégrité scientifique contre l’ingérence politique
Romany Webb, directrice adjointe du Sabin Center for Climate Change Law
Donald Trump a déjà annoncé vouloir de nouveau sortir de l’accord de Paris – premier signe du frein qu’il va représenter pour la coopération internationale sur les questions climatiques. Dans une analyse, le site d’information britannique Carbon Brief a estimé que son retour pourrait entraîner l’équivalent de 4 gigatonnes d’émissions de CO2 en plus d’ici à 2030, par rapport à la tendance actuelle – soit l’équivalent des émissions annuelles combinées de l’Union européenne et du Japon. Il a aussi promis de démanteler l’Inflation Reduction Act, un plan de réformes écologiques et sociales, qu’il a qualifié “d’arnaque verte”. Et n’a cessé de moquer les renouvelables et d’encenser les énergies fossiles.
Des gagnants et des perdants
Toute la recherche est concernée. “Nous surveillerons l’impact potentiel de la nouvelle Administration et du Congrès sur la taille du budget fédéral 2025”, confirme Joanne Padron Carney. Car en proposant au Congrès des pistes pour dépenser les quelque 200 milliards de dollars annuels alloués à la recherche et au développement, le gouvernement fédéral a un réel pouvoir. “Beaucoup affirment qu’il ne choisit ni les gagnants ni les perdants, ce qui n’est tout simplement pas vrai. Bien sûr qu’il le fait !, appuie Kenneth Evans. Mais au moins, concernant les budgets, j’ai l’espoir que le Congrès puisse garder Trump sous contrôle.” Comme lors de son premier mandat, quand il a augmenté les crédits de la recherche contre la volonté présidentielle. Sauf que cette fois, les chambres et la Cour suprême sont entre les mains des Républicains. “Trump peut appliquer son programme presque sans garde-fous !”, craint Romuald Sciora.
Perte d’influence
Ces inquiétudes résonnent dans les couloirs des universités. “Pour l’enseignement supérieur, le financement du gouvernement est essentiel”, explique Caroline Wagner. “Ma plus grande préoccupation, c’est l’immigration”, poursuit Kenneth Evans, qui redoute un frein à l’arrivée de chercheurs et d’étudiants étrangers – ils représentent 43 % des doctorants en science. Lors de son premier mandat, il avait fermé les frontières aux ressortissants de six pays à majorité musulmane et aux Nord-Coréens. “Déconnecter notre système de recherche scientifique et d’éducation du reste du monde représente un risque important pour notre compétitivité”, avertit le politologue. La Chine vient d’ailleurs de passer première en termes de doctorats décernés, de demandes de brevets internationaux et d’articles scientifiques publiés dans des revues influentes.
Trump peut annuler ces décrets d’un coup de stylo
Jacob Carter, expert des politiques de recherche, Washington
L’autorité de la parole scientifique risque elle aussi de souffrir. Censures gouvernementales, coupes budgétaires, changements de personnel, fake news, entraves à la recherche… dans une étude récente, Romany Webb, experte en droit de l’environnement à l’université Columbia, a décompté 346 attaques antisciences proférées par des fonctionnaires trumpistes lors du premier mandat, entre 2017 et 2021. “L’Administration Trump a été bien pire que n’importe quelle autre. En comparaison, nous n’avons enregistré qu’une vingtaine d’actions sous Biden”, pointe la chercheuse, qui s’attend à un déclassement de la science, avec un “exode des scientifiques, comme lors de la première présidence Trump”.
Le cas du Covid
Les institutions scientifiques gouvernementales ont certes commencé à se préparer. “De nombreuses agences ont renforcé leurs règles d’intégrité scientifique, qui visent à limiter l’ingérence politique”, relève la directrice adjointe du Sabin Center for Climate Change Law. “S’il le souhaite, Trump peut annuler ces décrets d’un coup de stylo, réagit Jacob Carter, qui a lui aussi publié une étude sur les actes antiscientifiques des membres de l’avant-dernier gouvernement. Et à l’époque, ils ne connaissaient pas encore bien les processus de gouvernance. Cette fois, ils seront, eux aussi, plus expérimentés pour défaire les réglementations fondées sur la science.”
Cette marginalisation de la parole de la science est-elle le reflet d’un virage culturel de la société ? “Avec les vaccins, la technologie et les politiques environnementales, la science a une place de plus en plus importante dans nos vies”, souligne Naomi Oreskes. Qui cosigne une étude à paraître sur le niveau de confiance envers les scientifiques de plus de 70 000 personnes dans 67 pays. Et constate que si l’orientation politique joue sur l’opinion, la confiance est plutôt élevée, y compris aux états-Unis.
Des citoyens partagés
Des résultats qui font écho à ceux publiés en 2024 par Jon Miller, de l’université du Michigan : au cours du premier mandat de Trump, si la part des Américains ayant très peu confiance en la science est passée de 2 à 13 %, la part de ceux qui la portent en haute estime a, elle, augmenté de 22 à 57 %. “Les Républicains conservateurs les plus instruits ont reconnu l’importance de la vaccination pour contrôler la pandémie, et ont adopté des attitudes opposées à Trump, précise même Jon Miller. Je pense que c’est un résultat prometteur qui compense en partie la polarisation croissante du système politique américain.”
Les citoyens restent en revanche partagés sur le rôle que doit jouer la parole scientifique dans les prises de décision. Un Américain sur deux estime que les scientifiques doivent participer au débat politique sur des questions relatives à la science ; les autres qu’ils se limitent à établir des faits. “Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les décideurs acceptent les preuves scientifiques sans esprit critique. Ce que nous sommes en droit d’attendre, c’est qu’ils ne les déforment pas, répond Naomi Oreskes. J’attends que l’information scientifique de haute qualité prenne une place centrale pour, si nécessaire, contrecarrer explicitement la désinformation, quelle que soit sa provenance.” Le ton est donné pour les quatre ans à venir. Donald Trump face à la science, 2e round.