
La phylogénétique des monstres
Dragon, ogre, amazone… Ces figures archaïques de la peur peuplent nos récits depuis la nuit des temps. De nouveaux outils statistiques inspirés par la biologie permettent aujourd’hui de reconstituer leur histoire. Révélant comment elles structurent notre monde.
L’annonce peut surprendre : la science sait aujourd’hui d’où viennent les dragons, comment se transforment les ogres et où sont allés les cyclopes. Cela fait même une dizaine d’années qu’une petite communauté de spécialistes des mythes a forgé les outils permettant de retracer les longues errances de ces êtres de cauchemar et de remonter à l’origine de nos peurs humaines.
“Les monstres sont des paradoxes vivants : ils attirent autant qu’ils repoussent, nous invitant à scruter l’abîme de nos propres angoisses, de nos désirs et nos curiosités interdites, pose le philosophe Stephen Asma, au Columbia College Chicago. C’est pourquoi nous les recherchons, nous les créons et nous retournons sans cesse à leurs histoires.”
Difficile pourtant d’y voir clair parmi tous ces géants, ces krakens et autres dévoreurs qui peuplent la mythologie, le folklore et la pop-culture. “Le registre mythologique que nous voyons aujourd’hui dans les sociétés traditionnelles du monde entier est un palimpseste de motifs agrégés dans le temps et l’espace au cours de l’histoire de l’humanité”, constate l’anthropologue Marcus Hamilton, qui étudie les mythes à l’université du Texas, à San Antonio. “Il fallait une solution pour remonter dans le temps”, lance l’historien Julien d’Huy, affilié au laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France.