
Vive la solitude !
Ours mal léché, loup solitaire… Les préjugés ont la vie dure : la solitude serait le lourd fardeau d’espèces incapables d’évoluer pour vivre en société. Sauf que pas du tout, s’agacent les éthologues. La solitude aussi est un choix évolutif, une stratégie.
Vivre seul ? “Ce mode de vie n’est pas un état primitif”, martèle Carsten Schradin, du CNRS. Avec sa consœur Lindelani Makuya, à la tête d’une station de recherche dans la région du Karoo succulent, en Afrique du Sud, et une poignée d’autres éthologues et écologues, ils ont décidé de battre le rappel. Il est temps, selon eux, de dépasser les clichés sur les animaux solitaires. “Leur initiative va assurément dans le bon sens”, salue le biologiste du comportement Reuven Yosef, à l’université Ben-Gourion, qui observe depuis de nombreuses années la vie des hyènes rayées et des léopards au Moyen-Orient… et qui avoue volontiers faire partie des rares biologistes du comportement à s’intéresser à ces espèces dites “non-sociales”.
“Les animaux solitaires ont très peu été étudiés par les éthologues”, confirme Lindelani Makuya. Jusque-là, on avait plutôt tendance à les ignorer, voire à les dénigrer, sans doute biaisés par notre propre statut d’espèce hypersociale gravement affectée par la solitude prolongée. Ours mal léché, loup solitaire, vipère, requin… nous les invoquons d’ailleurs volontiers pour fustiger des comportements égoïstes, asociaux, en rupture de ban. Ils vivent seuls ? C’est qu’ils sont moralement douteux, intellectuellement limités, incapables de percevoir les bienfaits de la sociabilité. Un cliché qui colle à l’évolution. Il n’est pas possible que les animaux solitaires aient choisi de l’être ; c’est un constat d’échec : leur espèce n’a pas réussi à se hisser jusqu’au niveau collectif. En fait, être solitaire signifie ne pas avoir évolué.