Ovnis : pourquoi ils sont de retour
La défense et le renseignement américains viennent de le reconnaître officiellement : il y a bien dans le ciel des phénomènes bizarres. Engins ennemis ? Explosion du trafic spatial ? Lueurs naturelles ? Cette fois, des scientifiques se penchent sur la question.
“Mon Dieu… Regarde ce truc, mec… Il avance contre le vent… Regarde ce truc ! ça tourne !” Vous avez peut-être déjà eu l’occasion de visionner sur le Web ces vidéos troublantes, prises à bord d’avions de chasse de l’US Navy confrontés à d’indéfinissables objets volants.
On peut être férocement sceptique face au phénomène ovni et à ses potentiels canulars ou méprises – c’est notre cas à Epsiloon –, mais le fait est que ces films ont été récemment authentifiés par le Pentagone, assortis de témoignages a priori sincères de pilotes ou d’opérateurs radar. Il faut également reconnaître que le renseignement américain a produit cet été une note révélant l’existence de 143 rapports d’incidents avec des phénomènes aériens non identifiés depuis 2004. Enfin, force est de constater que les États-Unis viennent de créer au mois de décembre dernier un bureau d’investigation dédié à ces anomalies…
Un changement radical de communication
Le retour des soucoupes volantes, sérieusement ? L’emballement né du premier témoignage, en 1947, d’un certain Kenneth Arnold avait été sévèrement douché par un rapport de l’université du Colorado de 1969. Verdict : rien à signaler. “Depuis, ce n’était plus un souci pour l’armée américaine, du moins officiellement… Mais on assiste ces derniers mois à un changement radical de communication : ces phénomènes mal cernés semblent provoquer une vraie inquiétude pour la sécurité des vols et la sécurité nationale”, constate Luc Dini, qui dirige une commission technique sur le sujet à l’Association aéronautique et astronautique de France (A3F). “Au mois d’août dernier, j’ai même été convié à une session sur la prise en compte de ces manifestations lors d’un grand colloque américain sur le trafic aérien”, témoigne Philippe Ailleris, chef de projet à l’Agence spatiale européenne.
C’est la première fois que des agents du renseignement affirment publiquement que la plupart des objets signalés sont réels
Greg Eghigian, historien à l’université Penn State
“Les officiels se sont toujours préoccupés de l’existence d’armes expérimentales ou d’appareils de surveillance ennemis dans le ciel des États-Unis, évalue Greg Eghigian, historien à l’université Penn State, mais c’est la première fois que des agents du renseignement affirment publiquement que la plupart des objets signalés sont réels et non le fruit de l’imagination de témoins.” Du reste, un article paru début juin dans le South China Morning Post fait état des mêmes préoccupations du côté de l’armée chinoise, qui semble confrontée à des problèmes similaires.
Aucun document officiel n’évoque, à ce stade, la venue de petits hommes verts. Dans un premier temps, la cause serait plutôt à chercher du côté d’une activité aérospatiale civile et militaire de plus en plus débordante. De quoi créer une déferlante d’ovnis, aux yeux des citoyens lambda comme des pilotes d’élite – au moins autant que durant la guerre froide et sa paranoïa.
Un ciel très chargé
“Les premiers lancements de grappes de 60 satellites de Starlink réalisés à partir de mai 2019 ont provoqué en France des vagues de signalements : ces trains de petits points lumineux et mobiles dans le ciel sont nouveaux, cela impressionne forcément”, raconte Vincent Costes, responsable du Geipan, le groupe d’études et d’informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés ; cet organisme intégré à l’Agence spatiale française enquête en toute rigueur sur quelque 200 témoignages par an. “Avec la multiplication des lancements, il y a aussi plus de manœuvres de désorbitation des étages de fusées : la vidange des carburants avant l’entrée atmosphérique produit alors de grands nuages luminescents très visibles, déclenchant beaucoup de témoignages d’ovnis”, souligne Marco Langbroek, de l’observatoire de Leyde, aux Pays-Bas.
Une puissance étrangère a peut-être acquis une techno disruptive… Il y a des choses qui ne correspondent pas à l’état de l’art
Luc Dini, directeur d’une commission technique sur le sujet à l’Association aéronautique et astronautique de France (A3F)
Essais de missiles balistiques, armes antisatellites, premiers vols suborbitaux, développement de lanceurs réutilisables ou de petites navettes spatiales comme la X-37B américaine et la Tengyun chinoise, multiplication de missiles et autres bolides atteignant des vitesses hypersoniques jusqu’à Mach 20 – la France devrait prochainement tester son V-MAX… Autant de nouveaux engins susceptibles de créer d’intrigants effets lumineux. Sans parler des drones dont les formes ou les trajectoires peuvent être stupéfiantes : “Même si les drones civils sont interdits de vol la nuit, certains passent outre, et il n’y a aucune réglementation sur leur signalisation lumineuse, soupire Antoine Cousyn, enquêteur pour le Geipan. Dernièrement, nous avons été confrontés en Île-de-France au cas d’un drone militaire équipé d’un très puissant projecteur vert.”
Des cas récalcitrants
N’importe quel ufologue un peu sérieux vous le dira : dans le ciel, l’absence de repère visuel fausse la perception des mouvements – on parle d’autocinétique. “Une simple lanterne thaïlandaise qui s’éteint soudainement peut aussi donner l’impression d’une accélération phénoménale”, complète Vincent Costes. Et il suffit que le soleil ou la lune se réfléchisse sur le fuselage d’un avion, d’un ballon-sonde, d’un sac plastique, d’un nuage ou d’un oiseau migrateur pour créer l’émoi.
En France, environ 3 % des dossiers résistent à notre analyse
Antoine Cousyn, enquêteur du Geipan
Tous ces cas de figure devraient être plutôt faciles à élucider. Mais il reste toujours la possibilité de se retrouver nez à nez avec un programme secret d’armement ou d’espionnage très avancé. Les pilotes militaires américains sont-ils tombés sur d’innovants aéronefs chinois ou russes venus les espionner ? Leurs instruments ont-ils été leurrés par une quelconque arme électromagnétique, à micro-ondes, à laser ?
“On assiste actuellement à une course à la puissance sur les armes à énergie dirigée”, confirme Olivier Dujardin, du Centre français de recherche sur le renseignement. L’armée américaine annonce aussi, dans un obscur programme baptisé Nemesis, vouloir duper les capteurs ennemis en créant des flottes fantômes de navires et d’avions à coups de cyberattaques et de brouillages… Autant d’ovnis en puissance.
Vous avez dit bizarre ?
Sauf que cela ne semble pas pouvoir expliquer certains témoignages évoquant des accélérations insensées, des trajectoires à angle droit, des vitesses hallucinantes sans mode de propulsion visible. La note des services de renseignement américain fait référence à 18 incidents aux caractéristiques de vol “inhabituelles”. Un éblouissement ou un défaut des caméras et des radars restent tout à fait possibles. Ou alors “une puissance étrangère a peut-être acquis une technologie disruptive… En tout cas, il y a des choses qui ne correspondent pas à l’état de l’art”, souffle Luc Dini.
Ce sujet ne doit plus être un tabou pour les chercheurs. On peut spéculer à l’infini, seules des données pourront vérifier les hypothèses
Ravi Kopparapu, astrophysicien au Nasa Goddard Space Flight Center
Même pas en termes de brouillages : “Cela demanderait un niveau de connaissance du radar à leurrer et un positionnement très précis des systèmes qui me semblent incompatibles avec un environnement opérationnel”, lance Olivier Dujardin. Si certains fantasment sur la capacité des nouveaux lasers à impulsion ultracourte à générer des boules de plasma pour tromper les missiles ennemis, “ces dispositifs sont en réalité incapables de créer à distance des plasmas durables et leur utilisation ne semble pas envisageable sur le terrain militaire”, rétablit Pierre Bourdon, à l’Onera.
Bizarre, vous avez dit bizarre ? “En France, environ 3 % des dossiers, pourtant bien étayés, résistent à notre analyse, reconnaît Antoine Cousyn. C’est peut-être un résidu normal… Ces témoignages sont quand même très étranges, ils ne correspondent a priori à rien de connu, mais hélas, nous ne disposons pas de documents photos ou vidéos.”
Les scientifiques s’emparent du sujet
De fait, en matière d’ovnis, le manque de données de qualité est particulièrement criant. Les rares photos ou vidéos existantes sont floues et peu exploitables… “Comme par hasard !”, ironisent les sceptiques. “Les trois seules vidéos militaires américaines disponibles ont une résolution médiocre et, à vrai dire, elles ne me semblent pas montrer un grand niveau d’étrangeté”, glisse Antoine Cousyn. “Les Américains n’ont fourni aucune donnée technique, c’est frustrant, rumine de son côté Luc Dini. L’idéal serait de pouvoir coupler les images infrarouges avec les données radar pour traiter les cas récalcitrants.”
Fort de ces informations, des experts français du Geipan et de l’A3F ont ainsi récemment pu établir que la forme très étrange captée en novembre 2014 par la caméra infrarouge d’un hélicoptère de l’armée chilienne était, tout simplement… un Airbus A340 de la compagnie Iberia en phase de décollage de l’aéroport de Santiago, dont la traînée de condensation était illuminée par le soleil.
Fripon, le dispositif français de surveillance
Scientifiques et ingénieurs commencent à s’emparer du sujet. “Il y a peu de chance pour que les militaires américains divulguent leurs informations, en revanche on devrait pouvoir étudier ces anomalies en exploitant les images des satellites civils d’observation de la Terre”, milite Philippe Ailleris.
D’habitude très réticente sur ce sujet, la Nasa a suggéré cet été que ses données spatiales libres de droits pouvaient tout à fait être exploitées à cette fin. Et le nouveau bureau d’investigation américain entend sonder les archives du contrôle aérien civil. Beaucoup convoitent aussi les nouveaux réseaux d’observation des météores, à l’image du dispositif français Fripon : “Il y a des discussions, nous disposons en effet sur le territoire d’une centaine de caméras filmant toute la voûte céleste, mais il faut bien savoir ce que l’on cherche pour pouvoir calibrer les algorithmes”, réagit Jérémy Vaubaillon, à l’Observatoire de Paris.
Les résultats de toutes ces recherches risquent d’être banals et inintéressants
Dan Werthimer, astronome à Berkeley et pionnier du programme Seti
Justement, que chercher ? Pourquoi pas un phénomène atmosphérique naturel jusqu’ici inconnu… Après tout, rappelle Thomas Farges, physicien au CEA, “les pilotes n’osaient pas dire qu’ils observaient des flashs colorés au-dessus des orages de peur d’être mis sur la touche… jusqu’à ce que, le 6 juillet 1989, une caméra fixée sur une fusée capte fortuitement un de ces ‘sprites’ pour la première fois”.
L’atmosphère terrestre n’est pas avare en phénomènes plasmatiques bizarres et encore mal compris, comme la foudre en boule longtemps évoquée – pas uniquement dans Tintin – mais filmée seulement en 2012 par des scientifiques chinois. Même embarras pour les grosses boules de plasma très persistantes qui apparaissent régulièrement dans la vallée d’Hessdalen, dans le sud de la Norvège, donnant lieu à toutes sortes de thèses exotiques. “Cela n’a rien de surnaturel, c’est lié à la physique de l’atmosphère et à la géophysique locale, nous sommes sur le point de publier une explication dans une revue scientifique”, lâche George Vargemezis, géophysicien à l’université de Thessalonique.
En quête de preuves
“Pour moi, il est évident qu’il va falloir désormais appliquer des méthodes et des techniques scientifiques à l’analyse des phénomènes aériens non identifiés : ce sujet ne doit plus rester un tabou dans la communauté académique, sinon cela laisse le champ libre à toutes ces pseudosciences, estime Ravi Kopparapu, astrophysicien au Nasa Goddard Space Flight Center. On peut spéculer à l’infini sur la nature de ces phénomènes, seules les données pourront vérifier les hypothèses.” Y compris les plus audacieuses…
Jusqu’à présent, l’hypothèse d’aliens venus visiter ou étudier la Terre a surtout été accaparée par quelques amateurs enthousiastes et pas spécialement rigoureux. La communauté des astrobiologistes est aujourd’hui mobilisée sur la détection des preuves de vie ou de technologies extraterrestres dans l’espace très lointain, mais certains commencent à se pencher sérieusement sur notre environnement proche. Avec un risque non négligeable de se couvrir de ridicule aux yeux de leurs collègues.
Directeur de l’Institut de théorie et de calcul de l’université d’Harvard, Avi Loeb vient ainsi de lancer un programme de recherche sur la question doté de 1,8 million de dollars : “Nous allons installer ce printemps le premier télescope de notre dispositif à l’observatoire d’Harvard, et nous prendrons des vidéos en continu du ciel avec des capteurs optiques, infrarouges, radio et audio assistés par de l’intelligence artificielle”, s’enflamme celui qui soutient que le corps céleste ‘Oumuamua, passé récemment dans le système solaire, serait un vaisseau venu d’ailleurs – on a certes connu plus neutre.
Certains risquent d’être déçus…
“De notre côté, nous étudions les relevés photographiques du ciel nocturne pris avant le début de l’ère spatiale à l’observatoire Palomar, en Californie, annonce Beatriz Villarroel, postdoctorante à l’université de Stockholm. Nous pourrions trouver quelque chose qui ressemble ou se comporte comme un satellite, peut-être une sonde envoyée au voisinage de notre planète par une autre civilisation.”
“OK, j’ai travaillé durant des années au centre de contrôle du trafic spatial de l’US Air Force, à Cheyenne Mountain, et je n’ai jamais vu la moindre trace crédible d’extraterrestre”, nous assure Brian Weeden. “Des sondes envoyées par d’autres civilisations sont une possibilité, mais si elles veulent rester inaperçues, il nous sera alors impossible de les détecter au vu de leur avancement technique, songe Dan Werthimer, astronome à Berkeley et pionnier du programme Seti. À vrai dire, il est très improbable que ces phénomènes non identifiés soient d’origine extraterrestre… Les résultats de toutes ces recherches risquent d’être banals et inintéressants.”
En tout cas, soixante-quinze ans après l’apparition des premières soucoupes volantes, la traque de ces phénomènes insaisissables est relancée. Une quête épuisante, sulfureuse, et peut-être tout à fait inutile. Mais tellement humaine…