
Grandeur et décadence du paresseux géant
Il souffre d’une réputation calamiteuse… et pourtant, en remontant son histoire, les paléobiologistes découvrent des paresseux géants de plus de 4 tonnes, qui ont régné des millions d’années durant sur le continent américain. Le vestige d’une mégafaune perdue…
On les considère comme des animaux un peu ridicules. Leur visage simplet, leurs bras démesurés, leurs gestes effroyablement lents, leur métabolisme qui semble dépassé par les événements – il leur faut un mois pour digérer la moindre feuille et deux jours pour s’accoupler. Doués pour ne rien faire, flemmards incorrigibles, les paresseux font office de parfaits antihéros pour dessins animés ; on vous recommande au passage le film d’animation Zootopie, avec son désopilant guichetier hyperapathique. Pourtant, les dernières recherches en génétique et paléontologie menées sur l’animal racontent une tout autre histoire, beaucoup plus palpitante, glorieuse et tragique – car, oui, ces xénarthres auraient très bien pu aujourd’hui dominer le monde.
“Nous avons détecté sur le continent américain l’apparition de plus de 100 groupes d’espèces de paresseux ces 35 derniers millions d’années, avec une grande diversité de modes de vie”, lance Rachel Narducci, du muséum d’histoire naturelle de Floride. On ne parle plus là des animaux solitaires de 5 kg accrochés en ce moment au sommet des arbres d’Amazonie ou du Costa Rica, mais de véritables troupeaux de créatures beaucoup plus massives évoluant dans les arbres, au sol ou entre ces deux milieux. “Nos recherches de fossiles dans la région intertropicale brésilienne montrent que les individus arboricoles les plus légers pesaient alors 130 kg”, sourit Mario Dantas, paléoécologue à l’université fédérale de Bahia, au Brésil. Et dans les vastes prairies d’Argentine ou du Dakota, les chercheurs ont mis au jour de nombreuses traces de spécimens terrestres – des mégathériums, mégalonyx, lestodons, mylodons, érémothériums… – affichant souvent 4 tonnes sur la balance. Soit des animaux aussi lourds qu’un éléphant, avec l’aspect d’un ours-hippopotame, et sans doute la démarche empruntée d’un fourmilier. “J’ai moi-même découvert des ossements de paresseux qui devaient faire dans les 8 tonnes”surenchérit François Pujos, paléontologue au Conseil national argentin pour la recherche scientifique et technique. “Notre étude, qui vient de paraître, révèle que le gigantisme a émergé plusieurs fois chez les paresseux évoluant au sol – ces gabarits ne sont, bien sûr, pas compatibles avec le mode de vie arboricole, complète Alberto Boscaini, chercheur à l’université de Buenos Aires. Les périodes de refroidissement climatique ont aussi favorisé les grandes tailles, qui permettent de mieux conserver la chaleur corporelle.”