
L’histoire éloquente de l’acétamipride
Ce pesticide était au cœur des débats sur la loi Duplomb qui ont agité tout l’été. Nous remontons le fil de l’histoire de cette molécule tourmentée par des enjeux financiers, écologiques et sanitaires. Pour comprendre comment on en est arrivés là.
Tout le monde commence à savoir prononcer son nom : a-cé-ta-mi-pride. C10H11ClN4 pour les intimes. Cet été, cette molécule a rassemblé autour d’elle – ou plutôt contre elle – plus de deux millions de signatures, en opposition à la loi Duplomb réautorisant l’utilisation de ce pesticide interdit en France depuis 2018. “Il y a eu une pression inattendue, populaire, mais aussi des associations de médecins, des scientifiques et des organismes de recherche – le CNRS, l’Inserm, l’Inrae”, observe Jean-Marc Bonmatin, chimiste et toxicologue du CNRS au Centre de biophysique moléculaire d’Orléans. Mais il faut remonter le fil de cette histoire pleine de contradictions pour mieux comprendre ce qui, cet été, s’est cristallisé autour de ces 26 atomes.
Parfait pesticide
Tout commence avec le tabac, une plante connue depuis des siècles pour ses effets insecticides – les feuilles séchées repoussent les mites dans les armoires. La nicotine agit sur leurs synapses, la zone de contact entre deux neurones. “Dans les années 1970 et 1980, l’industrie de la chimie de synthèse explore de multiples voies pour créer des molécules dont la formule chimique s’approche de la nicotine”, raconte Christian Huyghe, ingénieur agronome et ancien directeur scientifique agriculture de l’Inrae. L’idée est d’imiter la nicotine, mais en y greffant un atome de chlore pour créer des impulsions incontrôlables, une hyperstimulation nerveuse qui ne s’arrête jamais. “La nicotine, ce n’est pas bon, mais la nicotine chlorée, c’est catastrophique : imaginez une crampe généralisée sur votre corps”, résume Jean-Marc Bonmatin. En paralysant l’insecte, jusqu’à provoquer sa mort, ces molécules baptisées “néonicotinoïdes” promettent d’être de parfaits pesticides.