 @NASA/JPL-Caltech/ASU/MSSS
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							Mars : la première bio-signature potentielle
L’annonce a été faite par la Nasa : des échantillons martiens collectés par le rover Perseverance contiennent des composés qui, sur Terre, ne sont produits que par le vivant. Une première dans la recherche de la vie extraterrestre. Entre prudence et enthousiasme.
Mars, été 2024 : le rover Perseverance s’engage dans Neretva Vallis, un sillon large de 400 m creusé à la surface de la planète, et découvre des roches particulières, des petites taches sombres sur le sol rouge. Il creuse… Terre, septembre 2025 : après un an de travail, les membres de la mission publient leur analyse de ces échantillons dans la revue Nature et livrent leur conclusion historique : une “biosignature potentielle”, une possible trace de vie passée. Autrement dit, il pourrait s’agir de la toute première preuve que la vie peut exister dans l’Univers par-delà notre petite Planète bleue. “Nous avons identifié au sein de plusieurs roches martiennes deux composés chimiques qui, sur Terre, sont le fruit de réactions dans lesquelles le vivant joue un rôle décisif”, résume Joel Hurowitz de l’université Stony Brook, aux États-Unis, auteur principal de l’étude.
Pas n’importe où
C’est bien une première. Les mots sont pesés. Jamais aucune publication scientifique n’avait osé employer ce terme. “Une biosignature désigne une structure, une molécule, une substance ou toute autre observation qui ne pourrait pas être produite en l’absence d’êtres vivants, clarifie Amy Williams, de l’université de Floride. Pour cet échantillon, nous ne pouvons pas conclure définitivement, car il reste des zones d’ombre. Il est donc plus sage de se limiter à une bio-signature potentielle.”
À ce jour, nous ne connaissons pas d’autre processus purement géologique permettant de former ces produits dans ces conditions
Joel Hurowitz, planétologue, université Stony Brook 
Dès qu’ils ont découvert la zone, en 2024, les chercheurs ont su qu’ils avaient affaire à un endroit spécial. Le sillon de Neretva Vallis est un endroit parfait pour la vie : aujourd’hui figé dans la poussière rougeâtre, ce canal fluvial regorgeait autrefois d’eau, qui alimentait le cratère Jezero voisin, formant un lac d’une cinquantaine de kilomètres de diamètre. C’était il y a plus de trois milliards d’années. “Tout cela, nous l’avions identifié en amont du lancement de Perseverance, par le biais de la méticuleuse analyse de la cartographie du sol martien réalisée par la sonde Mars Reconnaissance Orbiter”, rappelle la planétologue Janice Bishop, de l’institut SETI, un centre qui a pour mission d’enquêter sur la vie dans l’Univers.
Enfonce le clou
“C’est exceptionnel, confirme le géologue Nicolas Mangold, de l’université de Nantes, qui a participé aux recherches. En voyant la couleur, la forme de ces petites taches, on a tout de suite soupçonné qu’elles étaient liées à des réactions d’oxydoréduction.” Ces réactions chimiques se caractérisent par un transfert d’électrons entre deux éléments, générant alors de nouveaux composés – l’exemple le plus célèbre étant la formation de rouille à partir d’oxygène et de fer. L’analyse de ces petites taches par l’instrument PIXL de Perseverance a fini par parler. Les chercheurs ont pu identifier deux minéraux ferreux issus de ces réactions : la vivianite, composé phosphaté, et la greigite, riche en sulfure. Et il s’avère que sur Terre, leur synthèse se fait quasi systématiquement en présence de microbes, donc de vie. “Les micro-organismes interagissent avec la roche et stimulent les réactions d’oxydoréduction, formant ces minéraux, décrit Janice Bishop. C’est un phénomène qu’on observe dans des milieux dépourvus d’oxygène, nous avons par exemple trouvé des traces de telles réactions dans des lacs froids en Antarctique, que l’on considère comme des analogues des paléolacs martiens ancestraux.”
On peut avoir des choses qui ressemblent beaucoup à la vie, mais qui n’en sont pas. D’où l’importance de rester prudents
Caroline Freissinet, chargée de recherche CNRS au Laboratoire atmosphères, observations spatiales de Guyancourt 
D’emblée, les géologues en sont bien conscients : la vivianite et la greigite peuvent aussi bien être synthétisées en l’absence totale d’êtres vivants. Mais cela se fait à une condition : que les réactifs se trouvent baignés dans des températures élevées, de l’ordre de 120 à 140 °C. “Sauf qu’ici, nous n’avons trouvé aucun indice qui montrerait que la roche ait été chauffée à cette température, ni qu’il existait une quelconque activité volcanique dans le cratère Jezero, pointe Joel Hurowitz. Depuis la formation du cratère, la température est très certainement restée assez basse dans le canal Neretva Vallis. Or, à ce jour, nous ne connaissons pas d’autre processus purement géologique permettant de former ces produits dans ces conditions.”
Tout concorde
Cerise sur le gâteau : des analyses réalisées en parallèle sur ces roches par Sherloc, un autre instrument de Perseverance, ont permis d’y déceler la présence de molécules organiques, ces agrégats de carbone et d’autres éléments chimiques qui forment les briques de base des êtres vivants. “Les molécules organiques ne sont pas synonymes de vie, car elles peuvent aussi être le fruit de processus géologiques, mais elles semblent nécessaires à la vie”, prévient Dirk Schulze-Makuch, spécialiste en exobiologie à l’université technique de Berlin. Plusieurs recherches réalisées au cours de la dernière décennie ont d’ailleurs décelé de tels composés à de nombreux endroits à la surface de Mars. Comme cette impressionnante molécule à 12 atomes de carbone, découverte en 2025 par Curiosity, l’autre rover actif sur Mars. Le fait d’en dénicher à l’emplacement même où ont eu lieu ces réactions d’oxydoréduction enfonce un petit peu plus le clou.
Le climat passé de la zone, ces réactions d’oxydoréduction, la présence de molécules organiques… tout concorde. Même si l’on ne peut pas encore affirmer qu’il y a eu de la vie sur Mars, c’est la première fois qu’un indice aussi fort est retrouvé en dehors de notre planète. La découverte a d’ailleurs été positionnée sur la troisième marche de l’échelle CoLD (Confidence of Life Detection, en anglais), établie par la NASA en 2018. 1 : détecter un signal ; 2 : éliminer la contamination ; 3 : s’assurer que la biologie est possible. Ces étapes sont franchies. Il en reste quatre pour pouvoir annoncer officiellement l’existence d’une vie extraterrestre : éliminer les facteurs non biologiques ; trouver un signal indépendant supplémentaire ; écarter les autres hypothèses ; obtenir une confirmation indépendante. “Une affirmation extraordinaire nécessite des preuves extraordinaires”, disait le célèbre astrophysicien Carl Sagan.
Des chercheurs échaudés…
Prudence, donc. D’autant que les chercheurs ont été échaudés, la communauté a déjà dû faire face à une grande déception. C’était en 1996, à la suite de la découverte en Antarctique d’une météorite, probablement un fragment de croûte martienne décroché lors d’un choc. Dans une étude publiée dans la revue Science, une équipe décrivait son observation, au sein même de la roche, de structures ressemblant fortement à des fossiles de bactéries. L’emballement a été monstrueux. Bill Clinton, président américain de l’époque, a même pris la parole devant les caméras pour parler des conséquences “infinies” de cette découverte si elle se confirmait. Mais dans les années qui suivent, c’est la douche froide. De nombreux travaux montrent que si les structures observées peuvent bien être produites par la vie, leur origine est plus probablement abiotique – c’est-à-dire le fruit de réactions qui ne font pas intervenir le vivant. Et le chapitre se clôt en 2022, avec une étude basée sur les mesures des rovers martiens qui mettent en évidence une production de telles structures organiques sans intervention de vie, il y a 4 milliards d’années, sur la Planète rouge. “C’est là toute la complexité : on peut avoir des choses qui ressemblent beaucoup à la vie, mais qui n’en sont pas, commente Caroline Freissinet, chargée de recherche CNRS au Laboratoire atmosphères, observations spatiales de Guyancourt. D’où l’importance de rester prudents.”
Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est d’avoir l’échantillon en main
Agnès Cousin, de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse et membre de la mission 
“Nous nous attelons désormais à savoir si, oui ou non, ces minéraux n’ont vraiment pu se former qu’en présence de biologie. Ensuite, il faudra trouver des échantillons similaires à d’autres endroits sur Mars”, récapitule Joel Hurowitz. “La connaissance de l’environnement dans lequel a été retrouvée la roche est clé, estime de son côté Paul Byrne, de l’université Washington de Saint Louis. Nous en savons déjà beaucoup, mais il reste quelques trous concernant la datation des roches ou les contraintes géochimiques précises dans lesquelles ces minéraux se sont formés.” Faut-il que le rover revienne sur ses pas, et refasse une analyse plus approfondie de l’environnement du secteur ? “La question a été posée récemment en réunion d’équipe, témoigne Nicolas Mangold. C’est délicat, Perseverance est loin maintenant, à plus de 10 km du site. Et il a passé la crête du cratère Jezero…”
Le sujet devient politique
Les chercheurs prévoient plutôt d’étudier la formation de la vivianite et de la greigite sur Terre, “pour vérifier s’il n’existe pas un mécanisme inconnu pouvant être actionné sans organisme vivant, précise l’exobiologiste Ligia Fonseca Coelho, de l’université Cornell, aux états-Unis. Il y a des chances que l’affaire se termine ainsi. Il faut tenter de recréer des conditions similaires en laboratoire et se rendre dans les endroits où l’on trouve ces minéraux sur notre planète”. En gardant en tête qu’il n’est pas impossible que d’autres conditions environnementales, comme celles qu’a connues Mars par le passé, aient abouti à des processus géologiques et biologiques qui nous sont pour l’instant totalement inconnus.
“Nous sommes arrivés au bout de ce que nous pouvions faire sur ces roches avec Perseverance, pose Agnès Cousin, de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse et membre de la mission. Ce dont nous avons besoin, c’est d’avoir l’échantillon en main et de l’analyser dans nos laboratoires sur Terre.” Car même si les instruments du rover sont redoutablement bien conçus et sophistiqués, ils restent limités au regard de ce que permettent les laboratoires terrestres. Ils sont par exemple incapables de conduire des analyses isotopiques, qui examinent les proportions d’atomes de chaque élément chimique possédant des neutrons supplémentaires ou manquants. “Ce type d’analyse pourrait permettre de trancher entre une origine géologique ou biologique pour ces minéraux, la vie ayant tendance à favoriser les isotopes plus légers”, atteste Dirk Schulze-Makuch. Il faudrait aussi des études micrométriques ou chromatographiques, qui ne peuvent se faire que sur Terre, avec des machines qui font parfois la taille d’une chambre à coucher.
Le nouvel administrateur de la NASA a quasiment dit qu’on avait découvert la vie, c’est allé trop loin
Nicolas Mangold, géologue, université de Nantes 
Une telle mission était prévue : depuis le début de ses pérégrinations, en 2021, Perseverance sème derrière lui des capsules d’échantillons qui devaient être ramassées par un futur engin coconstruit par la NASA et l’Agence spatiale européenne. Mission annulée en raison des coupes budgétaires annoncées par l’Administration Trump au début de l’été dernier – à l’heure où nous écrivons ces lignes, des discussions musclées sur ce budget commencent tout juste au Congrès. Et voilà que la première bio-signature potentielle devient un sujet politique. Avec son lot de dérives : les chercheurs restent sidérés par les déclarations euphoriques de Sean Duffy, le nouvel administrateur de la NASA, lors de la conférence de presse d’annonce de la découverte. “J’ai trouvé la prise de parole assez malaisante, totalement incompatible avec la démarche scientifique”, juge Agnès Cousin. “Il a quasiment dit qu’on avait découvert la vie, c’est allé trop loin, souffle Nicolas Mangold. Il a ajouté qu’on irait la chercher ‘avec nos bottes’. Or pour nous, dans cet objectif, une mission habitée n’a pas de sens : ça coûte beaucoup plus cher, c’est pour une date indéterminée… La mission robotisée, elle, avait été planifiée pour 2029 ou 2033, même si elle n’était pas encore totalement finalisée.”
L’humanité est prête
Il va falloir s’armer de patience pour passer de cette première bio-signature potentielle à une signature de vie. “L’aventure ne fait que commencer !”, positive Joel Hurowitz. L’historien des sciences David Dunér, lui, rappelle : “Nous sommes face à une quête multimillénaire. Le philosophe Lucrèce, déjà au Ier siècle avant notre ère, émettait l’hypothèse de formes de vie en dehors de la Terre…” Quoi qu’il en soit, l’humanité est prête, telle est la conclusion d’une étude menée par le psychologue Michael Varnum, de l’université de l’Arizona, en 2018 : “Nous avons analysé les réactions à d’anciennes preuves finalement abandonnées de vie extraterrestre, comme dans l’histoire de la météorite martienne trouvée en Antarctique, et demandé à de nombreuses personnes, dans différentes sociétés humaines, quel serait leur sentiment face à une telle découverte. À chaque fois, nous obtenons les mêmes résultats : l’annonce susciterait en très grande majorité des émotions positives.” Non, pas de panique, pas de chaos, ni de doute, ni d’effroi. Mais plutôt une joie, un soulagement peut-être, d’apprendre que, finalement, nous ne sommes pas seuls dans ce vaste Univers.