"Nous n’avons pas besoin du langage pour penser"
Linguistes, philosophes, psychologues s’entendent sur la question : le langage est nécessaire, selon eux, à l’élaboration de toute forme de pensée. Pourtant, pour le professeur de psycholinguistique Edward Gibson, il est grand temps de dissocier les deux.
Epsiloon : Cette idée vous vient-elle de travaux en neurologie, de l’observation du cerveau ?
Edward Gibson : En effet, elle part d’un constat que nous avons fait en réalisant de nombreuses expériences : même si cela peut paraître étonnant, le langage et la pensée sont dissociés dans notre cerveau. Grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, nous avons pu comparer l’activation des régions cérébrales en fonction de nos tâches : la lecture ou l’écoute d’un ensemble de phrases écrites ou de sons qui ne font pas sens, et d’autres tâches liées à la pensée, comme la mémoire spatiale, l’arithmétique, la musique, le raisonnement social, et même la compréhension de programmes informatiques… Et ce que nous trouvons, le fait fascinant, c’est que les régions du réseau linguistique ne s’activent que pour le langage de haut niveau, lorsque les mots se combinent pour former des phrases. Toutes les autres tâches s’effectuent en dehors de ce réseau. Rien à voir donc avec le langage…
Epsiloon : Des travaux montrent pourtant que le langage et certains processus cognitifs sont traités dans des zones qui se chevauchent…
Edward Gibson : Sauf que c’est faux. Cette impression de chevauchement survient quand on fait la moyenne des cerveaux étudiés. Ce n’est pas ce qui se passe au niveau individuel : si la topographie de nos fonctions neurologiques est largement similaire, elle présente aussi des spécificités…